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INTERVIEW : Périne Faivre, directrice artistique des Arts Oseurs
Quel est le point de départ de ce nouveau spectacle ? Qu’as-tu envie de raconter dans Héroïne ?
On cherche toujours à expliquer la genèse d’un spectacle. Son idée première, sa source. La plupart du temps, une fois qu’il existe, on raconte de manière linéaire et logique le processus, de l’origine jusqu’à la création, la parole est claire, fluide... elliptique. Alors que lorsque nous y sommes, nous ne savons pas. L’idée s’insinue, consciemment ou pas, limpide et diluée tout à la fois. Toutefois, je me souviens d’une chose. La première résidence de recherche sur le spectacle Les Tondues a commencé le jour des attentats perpétrés contre l’équipe de Charlie Hebdo et puis la sombre et terrifiante liste d’actes terroristes a marqué ensuite toute la création.
Au-delà des réactions émotionnelles qu’ils ont provoquées chez moi, du trouble qu’ils ont suscité en ce qu’ils faisaient irruption dans et contre mon sujet, chaque nouvel épisode réactivait un malaise grandissant. Pourquoi ne prenait-on jamais les terroristes vivants ? Pourquoi ne faisions-nous pas tout pour les mener devant un tribunal ? Pourquoi ne désirions-nous pas plus que tout assister à leur procès ? Pourquoi ne voulions-nous pas que le peuple juge les hommes mais aussi ce qui les avait menés jusque-là ? Leur mort semblait normale, attendue et voulue. Justice expéditive, retour de la peine de mort. Résonance très troublante avec le sombre sujet dans lequel je m’immergeais : les tontes de femmes, elles aussi expéditives, punitives et sans procès. J’avais timidement à l’époque exprimé ce sentiment peu partagé, et je m’étais rendue compte, finalement, peu « entendable ».
La Justice, comme pierre de voûte sociétale et valeur collective, s’est alors imposée comme l’enjeu d’un futur projet, à convoquer au cœur de l’espace public. Comprendre l’institution judiciaire, la regarder vivre, mesurer en quoi justice est-elle rendue ou non, observer ses rouages, peser le poids des choses de la plaidoirie à la sentence, éprouver au quotidien la justice qui est rendue en notre nom.
C’est le début du chemin pour Héroïne, la création étant prévue pour 2021. Quels sont les objectifs de cette résidence ?
Entre novembre 2018 et avril 2019, j’ai passé 1 semaine par mois auprès d’une avocate et plus largement au coeur de l’institution judiciaire. J’ai noirci des pages et des pages de carnet d’observation et de ressenti, résultats de dizaines d’heures passées en salle d’audience ou dans les couloirs des tribunaux. Ces carnets sont une matière pour l’écriture du projet. Avec Renaud Grémillon, musicien et Moreno, peintre, nous avons tenté de mettre en forme ce livret de bord et de le partager avec un premier public au Théâtre le Sillon à Clermont-l’Hérault*. Rencontre forte, fertile et excitante !
En novembre prochain, nous débarquerons au Fourneau pour tester les intuitions d’une future forme en espace public qui mêlera l’idée d’un tribunal à ciel ouvert, une composition musicale autour de l’oeuvre de Bach et des danseurs du mouvement Krump. Nous irons aussi à Ligne 21* pour une écriture de la future scénographie du spectacle.
Les Arts Oseurs sont associés au Fourneau pour trois années. La fréquentation régulière du territoire brestois va-t-elle influencer l’écriture d’Héroïne ?
Forcément, nos venues régulières sur les terres du Fourneau vont nourrir l’écriture ! Chaque résidence amène toujours des traces indélébiles à ce que sera un spectacle. D’autant plus quand il s’agit de travail en espace public : les lieux nous chargent, le temps qu’il fait, les habitants rencontrés…
Et à ce jour, Héroïne est déjà marqué par le sceau de notre histoire avec Le Fourneau : le projet que nous avions mené avec la maison d’arrêt* m’a longtemps hanté et j’entends bien reprendre contact avec cette institution carcérale pour y mener des entretiens avec les détenus.
De même, j’avais proposé aux étudiants de la licence Arts de l’université de Brest de s’immerger dans cette recherche. Nous avions passé une demi-journée au Tribunal de Grande Instance afin d’assister à une audience correctionnelle, ce qui avait donné lieu ensuite à un travail sur la question de la Justice comme institution mais aussi comme expérience personnelle ; sujet que nous avions ensuite expérimenté sous différentes formes sur les places publiques, ronds-points et rues de Brest. La manière dont ces jeunes s’étaient emparés de ce sujet dans leur propos mais aussi dans leurs corps m’a convaincue de la justesse de l’angle de vue.
Le Fourneau nous offre du temps et des espaces pour travailler, expérimenter, douter et créer… c’est si précieux !
* Les Arts Oseurs sont associés au Théâtre le Sillon à Clermont-l’Hérault (34)
* Ligne 21 est un lieu d’accueil de résidences artistiques situé à Lesmel, Plogonnec (29)
* Les Arts Oseurs ont réalisé un parcours d’ateliers et présenté J’écris comme on se venge à la Maison d’Arrêt de Brest en février 2016.
Voir en ligne : https://www.lesreportagesdufourneau...