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La Poétique de l’invisible

Projet photo/texte CHRS du Port

À propos du projet

« La Poétique de l’invisible »
Et si l’invisible avait du charisme ? Un peu d’éclairage peut révéler ce paradoxe. Passer de l’ombre à la lumière…

Ce projet photo/écriture se déroule avec les personnes hébergées au Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale (CHRS) « le Foyer du Port », qui accueille 44 hommes majeurs isolés. 28 sont hébergés en appartements extérieurs et 16 sur le collectif du Port de commerce. C’est avec ces derniers qu’ont été réalisés ces clichés.
Les séances de prises de vue se sont tenues principalement entre septembre et décembre 2012. Mais encore aujourd’hui, je propose aux nouveaux arrivants hébergés sur le collectif du port de commerce d’être pris en photos et de rejoindre ainsi le projet "La poétique de l’invisible".
La photographie et l’écriture permettent de laisser une « trace » de soi, de son identité, de ses pensées… « La poétique de l’invisible » est un projet qui propose de s’inscrire dans le temps.
Si la pertinence d’un projet s’évalue à la satisfaction et à l’investissement des participants, sa beauté se mesure peut-être, aux nouvelles envies qui alimentent l’aventure. En cela, l’invisible n’a pas fini de se montrer.

Serge HEFEZ, psychiatre et psychanalyste :
« Pour que quelque chose existe, il faut qu’on le voit ».

En quoi ce projet est-il singulier et créatif ?

Chacun des hébergés s’est prêté au jeu de la pose, certains en se laissant guider par l’objectif, d’autres préférant orchestrer la séance. Ensemble nous avons validé les clichés. Le choix du tirage en noir et blanc s’est imposé naturellement, favorisant la mise en lumière du regard, de l’émotion.

La photographie utilise une sensorialité essentiellement visuelle, elle possède également la capacité d’ouvrir sur une multitude d’autres sensations présentes, et surtout passées. C’est cette ouverture qui permet de tisser des liens entre l’image et son histoire. Le portrait a une dimension plastique, humaine et narrative qui permet de dégager une expression de la personnalité de chacun.
Ces photographies servent de support à un travail d’écriture avec « les gars du foyer ». Au travers d’échanges, de regards croisés, d’expositions, d’articles de presse, chacun raconte ou exprime quelque chose de son histoire avec un mot, une phrase, un texte ou toute autre forme expression…

Quelle est la plus-value sociale du projet ?

Pourquoi exposer ?
Nous avons déjà exposé, les photos et textes associés, brièvement au Mac Orlan, pour les vœux du Maire le 8 janvier 2013, 3 hébergés étaient présents et ont fait part à l’assemblée de leur expérience.
Nous avons été invités à exposer de 19h30 à 20h30 le 21 février 2013 au Centre Social de Bellevue, dans le cadre du Festival de théâtre « OUPS ! », en prélude du spectacle "les jours heureux". 5 hébergés ont présenté avec moi l’exposition. Nous avons ensuite assisté au spectacle.
L’exposition à la « Maison de la Fontaine », haut lieu culturel brestois, a permis de s’installer plus durablement dans le temps (1 mois) et ainsi être vue par le plus grand nombre (350 visiteurs). Lors du vernissage, le 14 juin 2013, 11 hébergés étaient présent, ainsi que le maire du quartier de St Marc, la direction du CCAS et de nombreux invités. Chacun des hébergés ont eu l’occasion de s’exprimer au micro.

D’autres expos ont eu lieu :

  • L’UDAF en décembre 2013 (durant 1 mois)
  • A Lorient dans une « crêperie salle d’exposition » (durant 2 mois).
  • Mairie de l’Europe en juin 2014 (durant 1 mois)
  • Festival « Les identités remarquables » à la maison de quartier de Saint Pierre à Brest en avril 2015.
    Il s’agit d’un volet important du projet. Exposer ces photos, ces textes, pour mettre en lumière les hébergés du Foyer du Port, citoyens brestois et proposer un autre regard sur eux et sur le Foyer du Port.

Un autre volet fondamental de ce projet, est d’amener les hébergés du Foyer du Port à investir les lieux culturels de leur ville. Levier pour l’accès à l’autonomie, à la socialisation, à la responsabilisation ou à la citoyenneté, la culture est depuis longtemps associée aux politiques d’insertion.
Enfin, cette exposition favorise, la rencontre avec ce public trop souvent stigmatisé ou marginalisé.
« Toute culture naît du mélange, de la rencontre, des chocs. A l’inverse, c’est de l’isolement que meurent les civilisations. » Octavio PAZ.

Articles de presse/Exposition, création de lien :
La presse a été conviée pour plusieurs évènements (vernissage, expo…). Une dizaine d’articles ont été publiés (Le Télégramme, Ouest France, Côté Brest…). Par ce média, des résultats inattendus se sont produit. En effet, des proches, des membres de la famille de certains hébergés ont repris contact avec eux suite à la lecture de ces articles.

Quel est le potentiel de déploiement de cette initiative ?

Ce projet est toujours en évolution. Dans un premier temps, de janvier à juin 2013, des ateliers d’écriture et d’expression se sont déroulés chaque mardi de 10h à 11h30, encadrées par Anna Guerin (psychologue), Anne-Claude Laurent (secrétaire), et Alan Sanquer. A partir des photos, les hébergés ont été invités à s’exprimer, par un mot, un texte... L’objectif étant de se livrer, d’offrir un peu de soi aux autres et d’échanger les uns avec les autres. Ce travail d’élaboration collective a eu comme résultat la création de quelques textes, exposés avec les photos et a permis à chacun de donner un titre à sa photo (ex : « La traversée du désert », « ma liberté de pensée », « Vois ce que mes yeux te disent ! »…).
Eric participant au projet, explique : "c’est un condensé de nos souffrances et de nos espérances, de ce qu’on était avant, de ce qu’on est devenu, de ce qu’on voudrait devenir". Qui sont-ils d’un point de vue personnel et humain ? Quelle est leur histoire ? Que pensent-ils de la vie ? D’hier ? De demain ? Voilà par exemple quelques questions auxquelles certains hébergés tentent de répondre.
Une fois les textes validés par chacun, ils ont fabriqué eux-mêmes des encadrements personnalisés de leur texte, via un atelier "bricolage", encadré par Grégory Jacobs (maître de maison).
En septembre 2013, l’atelier a été remis en place, avec pour objectif d’approfondir le travail d’écriture. Déjà se dessine l’envie d’éditer un livre dans lequel les textes des hébergés seraient illustrés par les portraits photos de chacun d’eux. Cet atelier, encadré par Paul-Emmanuel Morucci et Alan Sanquer (Assistants Socio-éducatif), a dans un premier temps, repris sous la forme d’un atelier collectif. Parfois limité par ce format et par la capacité des hébergés à se concentrer ou à écrire par eux même, nous décidons en avril 2014 de favoriser les entretiens individuels. Pour graver ces entretiens, nous utilisons un dictaphone. Nous retranscrivons ensuite l’entretien mot à mot, dans sa forme la plus brute (voir extrait d’entretien en "Références"). Le texte est ensuite donné en lecture à l’hébergé, encadrée par nos soins, afin de relever les 1ère impressions et d’accompagner l’émotion engendré par ce type d’exercice.
De nouveaux objectifs viennent s’ajouter au gré de l’évolution du projet :

  • Création d’une association avec les hébergés du Foyer du Port, pour constituer une base à cette démarche de publication, mais aussi de points de départ à d’autres projets qui verront le jour.
  • Trouver un éditeur
  • Finaliser les textes
  • Trouver des financements pour l’édition du livre
  • Trouver un parrain pour cette action (une figure Brestoise ex : Miossec…)

Quel a été le facteur déclenchant de ce projet ?

Ce projet est partie du constat de l’équipe du CHRS du Port, que nos hébergés peinent à s’inscrire et à participer aux activités proposées sur l’extérieur du foyer. A partir de ce constat, nous avons voulu créer des projets adaptés à leurs besoins, leurs envies. Ma passion pour la photo et les histoires personnelles ont été le facteur déclenchant de ce projet.

Quel est le modèle économique de ce projet ?

Les tirages photos et les cadres ont été financé sur le budget du CHRS du Port. La création d’une association sera nécessaire pour aller plus loin dans le financement de ce projet, notamment si nous voulons éditer un livre. La création d’une association permettrait la vente de photos, la recherche de subventions...

Références

Les hébergés participants à ce projet sont : Bruno B., Christian B., Christophe S., David B., Eddy K., Eric G., Fanch M., Fernando L., Gaëtan C., Gérald W., Jean-Paul P., Laurent T., Maurice LC., Mohamed K, Patrick L.B., Pierre M., Régis B., Robert M, Viri M, Marc G., Cyrile B., Jean-Yves S., José, M.

Extrait d’entretien avec Jean-Paul le 25/06/2014 :

« Le sens de la vie, je n’ai pas dit que je connais, je commence à comprendre. J’aimerais revoir ma fille, pas mes escargots, mes escargots sont dans le fumoir. Revoir ma fille, le reste… pffff. Ça fait 21 ans que je n’ai pas vu ma fille. C’est pas 21 jours, ni 21 mois… 21 ans. Elle a 37 ans maintenant. Elle est née en 1977. Je ne l’ai pas vu depuis que le crash a eu lieu. Elle avait 15 ans. Le crash ? C’est la séparation avec ma femme quoi… Le fric, j’en ai rien à branler. Actuellement, j’en ai pas. Il me manque 1 euros 50 pour acheter 1L de rosé. Je m’inquiète pas, je suis tellement connu, sans prétention. Je trouverais un copain ou une copine en ville…
Je voudrais être sur une île déserte, entourée de bateaux et j’élèverais des carottes. Je me ferais jardinier !! Je ferais pousser des tomates aussi. Quel est le comble du jardinier ? Réponse : c’est de se foutre à poil devant ses tomates pour les faire rougir. Il est temps que j’arrête de parler… J’ai mal à la gorge. Je vais mettre un soutien-gorge, comme un rouge gorge. C’est vrai que je parle. Mais pas méchant pour deux sous. J’aime déconner quoi. Mais je suis sérieux aussi, tu peux venir. Ah oui, quand il faut discuter sérieusement… bla bla, tut tut tut.
Je me suis marié en 1975. 15 mars 1975. C’était y’a 39 ans donc. Ma fille est née le 5 novembre 1977. Et ma mère, je vais aller la voir vendredi, elle est en maison de retraite. Ma mère est du 10 novembre. Elle aura 91 ans. C’est ma mère hein… Attention ! J’ai plus mon père. Il est mort quand on devait se marier, Marie-Christine et moi, en 1974. Mon père est tombé d’un échafaudage, accident de travail. Il est tombé d’un échafaudage à la poudrerie de Pont-De-Buis. A cette époque-là, on ne pouvait pas se marier dans la même année qu’un enterrement. On a reculé le mariage en 1975. C’était un gentil garçon mon père. Il s’appelait Joseph Pellicant… Jopic quoi ! Il a passé toute sa vie chez Marc, entreprise de travaux public, maçonnerie et tout ça… Il n’avait jamais eu son permis, c’est moi qui l’amenais au boulot tous les matins…« A ce soir papa !! ». A ce soir tiens. Dans une civière oui !!! Pardon… C’est moi qui l’ai vidé de son sang. C’était comme ça à l’époque. Tout le monde chialait et puis moi j’ai tenu mon père, dans la salle à manger quoi. Y’avait pas de salon chez mes parents, dans la ferme. Je le tenais par les pieds… ppfff. Tout le sang qui coulait. Ça me reste sur la patate… Tu comprends ? Que j’ai tenu mon père…Et j’ai perdu 2 frères aussi. Gaby. Il était routier. Bon, il mettait dans son nez aussi. Un bon vivant aussi quoi. ! C’était un bon lui. Il avait 5 ans de plus que moi. Il est mort. Et Maurice, plus jeune celui-là. 7 ans plus jeune que moi. Il est mort aussi. Il est mort jeune. Et j’étais son parrain. Donc j’étais son parrain à 7 ans. Oui c’était comme ça. Il était carreleur chez Joncourt/Colin à Brest. Deux associés. Maurice, il travaillait là. Il mettait aussi… ppfff. Il mettait dans son nez. C’était une vedette !! On était 4 frères. »

Poème de Christophe Sonnic :

Un regard survivant qui n’entrevoit les choses
Que pour mieux soutenir tous les enfants perdus
Aux regards sereins, avidité des poses
Aux sommets démunis que la tempête explose
Aux auréoles sucrées par le nœud de l’envie
Se collent des Parsifals aux couilles anoblies
Agenouillées partout dans les cœurs sidérés


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