Accueil > Contributions > Neutralité du Net : bilan sur la conférence et l’atelier

Neutralité du Net : bilan sur la conférence et l’atelier

Les premiers évènements du cycle qui nous emmènera jusqu’aux élections européennes se sont déroulés les 17, 18 et 19 février 2014 au Lieu unique et à la Maison de l’Europe. En voici un petit retour.

La conférence

Estelle Massé est intervenue pour l’organisation non-gouvernementale Access sur le projet de règlement européen intitulé « marché unique des télécommunications ». Elle nous a expliqué en quoi ce projet, à son stade actuel, est une menace pour la neutralité du réseau.

Elle a également présenté la campagne Save the Internet qui permet à chacun d’influencer le cours du processus au Parlement européen. Le but de cette campagne est d’appuyer des amendements qui améliorent les garanties de neutralité du réseau pour les utilisateurs.

Accéder à la vidéo de la conférence : via bittorrent (conseillé), en téléchargement direct ou en visionnage sur le mediakit de La Quadrature. Les slides d’Estelle Massé sont également disponibles en téléchargement.

Une cinquantaine de personnes présentes

Bien que la communication ait été faite assez tardivement, une cinquantaine de personnes sont venues. Cela correspond à ce que nous espérions.

Les échanges ont montré un public aux connaissances et opinions variées, que ce soit sur le plan technique ou vis-à-vis de l’Union européenne. On a cependant pu remarquer un intérêt pour la politique et le militantisme en général.

Nous avons eu la plaisante visite de membres du FAI associatif rennais, Grifon, venus pour l’occasion.

L’ensemble s’est passé de façon conviviale et détendue, la présence de snacks a encouragé un moment de discussions informelles à la fin de la conférence.

Diffusion sur internet

L’évènement était diffusé en direct sur internet via un serveur Icecast. Une cinquantaine de personnes se sont connectées, doublant le nombre total de spectateurs et saturant le serveur de diffusion. Nous voyons ceci comme un succès !

Un deuxième serveur a été lancé pour équilibrer la charge. Ce billet présente un retour d’expérience détaillé sur la diffusion de la conférence. Nous espérons mieux gérer le nombre de connexions à l’avenir.

Des questions, encore des questions

La présentation a éveillé les réflexions sans assomer les esprits : trois quarts d’heure de questions alors que l’intervention elle-même n’a duré qu’une vingtaine de minutes. Ces échanges ont été très riches et ont permis d’approfondir de nombreux sujets.

Les questions et échanges ont été variés, portant sur la compréhension du fonctionnement - officiel comme officieux - des institutions comme sur des points spécifiques au projet de règlement européen ainsi que sur plusieurs sujets connexes.

Ça fonctionne comme ça, l’Europe ?

La présentation a été pour beaucoup l’occasion d’apprendre comment les institutions européennes collaborent entre elles lors de l’élaboration de textes législatifs, quelles sont leur composition et quels sont leurs liens avec les citoyens.

Le cheminement des textes entre la Commission, le Parlement et le Conseil de l’Union européenne était auparavant un mystère pour beaucoup, comme la différence entre un règlement et une directive ou encore l’existence et le rôle des commissions parlementaires et leurs acronymes à quatre lettres. En particulier, l’importance de la commission ITRE sur le projet actuel de directive a été soulignée.

Les discussions ont permis d’aborder certains rouages non mentionnés sur les papiers officiels, comme les intenses activités de lobby par de grands groupes ou les marchandages tactiques d’amendements entre groupes parlementaires.

Comprendre ce système est la première étape pour en influencer le fonctionnement et s’en servir pour améliorer le sort de la neutralité du réseau en Europe. Pour certains, cela a permis de relativiser la complexité de la cryptographie !

Quelques dons et adhésions

Les boissons et snacks étaient à prix libre, les t-shirts vendus 8€. L’association a récolté environ 50€ et deux nouveaux adhérents.

L’organisation de cette conférence a coûté 180€ à l’association sans compter les dépenses effectuées par des membres sur leurs fonds propres : la location de la salle a coûté 80€ et Estelle Massé a été dédommagée à hauteur de 100€.

Le déficit de l’association sur cet évènement est donc d’environ 130€.

L’atelier « appelle ton eurodéputé »

L’atelier « appelle ton eurodéputé » visant à participer localement à la campagne Save the Internet s’est déroulé toute la journée du lendemain. Une seconde session « bonus » a été improvisée le jour suivant, toujours dans les locaux de la Maison de l’Europe.

Une telle session de militantisme politique était une première pour FAImaison. Elle affirme notre engagement à promouvoir la neutralité du réseau à la fois localement et aux côtés d’autres organisations, sur les plans technique comme politique.

Un atelier en petit comité

Sept ou huit personnes se sont présentées à l’atelier, la quasi-totalité étant des membres de FAImaison. L’atelier se déroulant pendant les horaires de travail, la faible affluence n’est pas étonnante.

Les conditions dans les locaux de Maison de l’Europe étaient excellentes : une salle dédiée, du calme et du thé.

Du trac, une dizaine d’appels en plusieurs langues, peu de répondant

Il a fallu un peu de temps pour passer le trac, ces appels étant une première pour tous les participants. Réfléchir ensemble aux argumentaires a été d’une grande aide. Une dizaine d’appels ont été passés à destination de députés de divers bords et nationalités, en français, en anglais et en espagnol.

Nous avons bénéficié de conseils de membres de La Quadrature via leur canal IRC ainsi que de recommandations d’Estelle Massé : leur connaissance des rouages et des députés clés nous a permis de vite comprendre quels députés étaient essentiels à appeler.

Il a souvent été difficile d’aborder le sujet en profondeur : certains assistants parlementaires ne semblaient pas au courant du dossier et d’autres nous invitaient à plutôt écrire un e-mail. Nous avons dans ces cas laissé de courts messages invitant les députés à se référer à des amendements et rapports positifs. Un petit nombre d’appels a permis des discussions plus détaillées pour s’enquérir de l’état des négociations entre les groupes parlementaires ou pour fournir des explications à des députés n’ayant pas ou peu étudié ce projet. Quelques e-mails personnalisés, restés sans réponse, ont également été envoyés pour faire suite aux appels.

Nous avons partagé un sentiment de frustration du fait de la difficulté d’entrer dans le vif du sujet avec les assistants.

Des outils collaboratifs pour participer

Le PiPhone a été pris en main instantanément. Il propose pour cette campagne d’appeler aléatoirement un eurodéputé parmis ceux de la commission ITRE. Il suffit d’indiquer son numéro de téléphone et d’attendre l’appel qui nous fait entrer gratuitement en contact avec le bureau du député choisi.

Déterminer comment aborder une discussion selon le député a souvent nécessité de la préparation. Pour cela, ParlTrack a été essentiel : il permet de lister les membres de commissions parlementaires et de groupes politiques ainsi que de visualiser les amendements proposés par chaque député.

Memopol a aussi été utile pour avoir un aperçu rapide de l’opinion des députés ou groupes parlementaires sur les libertés numériques.

Ces trois outils sont à l’initiative de la communauté du logiciel libre et de l’open data, il n’ont pas été développés par les institutions européennes.

Le site officiel du Parlement a également permis de trouver des informations complémentaires.

Un moment de partage avec la Maison de l’Europe et Euradio Nantes

Des personnes de la Maison de l’Europe et d’Euradio Nantes, qui ne connaissaient auparavant aucun des ces outils collaboratifs, ont pu les découvrir et les utiliser : nous avons constaté beaucoup de curiosité envers cette façon de mener campagne, espérons donc que cela inspire d’autres personnes !

Où en est le dossier maintenant ?

Les négociations réalisées entre rapporteurs fictifs de la commission ITRE ne semblent pas annoncer une issue favorable pour la protection de la neutralité du net.

Comme l’explique ce billet, la rapporteuse de la commission ITRE, Pillar del Castillo Vera, a soumis des amendements particulièrement mauvais auxquels aucun des groupes politiques ne semble réellement s’opposer. Paradoxalement, tous les groupes politiques majeurs ont dans leurs rangs des députés qui ont soumis des amendements positifs, y compris dans le groupe de Pillar del Castillo Vera (PPE). Pour régler ces désaccords, les groupes négocient entre eux pour parvenir à un ensemble d’amendements dits « de compromis ». Ces négociations ne sont pas transparentes et les amendements qui semblent en ressortir sont plutôt négatifs, laissant penser que les intentions de défendre la neutralité du réseau manquent d’une réelle volonté.

Un point clé du texte est l’introduction de la notion de « services spécialisés » et la possibilité pour les FAI de favoriser le trafic vers ces services au détriment du trafic vers le reste d’internet. L’approche choisie dans ce débat pour défendre la neutralité est qu’il ne peut y avoir de création de service spécialisé s’il existe, sur le réseau internet, un service fonctionnellement équivalent. À l’opposé, l’approche de Pillar del Castillo Vera suggère de laisser libre cours aux FAI la façon de définir leurs services spécialisés, revenant à encourager les discriminations de trafic à travers la création de services spécialisés.

Un second point inquiétant est le fait que les FAI risquent d’être mandatés pour bloquer préventivement du contenu afin de lutter contre les « infractions graves ». Cela revient à leur accorder un rôle de juge pour classifier la gravité de potentielles infractions et censurer du contenu, alors qu’ils ne sont pas une autorité judiciaire. Qui plus est, « infraction grave » ne répond à aucune définition juridique.

Le vote du rapport d’ITRE, c’est-à-dire l’approbation ou non des amendements de compromis, a lieu ce 24 février. Il décidera du texte qui sera présenté au Parlement dans son ensemble.

Pour aller plus loin sur ce dossier

À la une