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Accéder aux ressources sociales en milieu rural : vie quotidienne et sociabilités à l’heure d’Internet dans une petite commune

Cet article s’appuie sur une monographie d’une petite commune bretonne d’environ 300 habitants pour s’interroger sur la manière dont les pratiques numériques reconfigurent l’accessibilité aux ressources sociales. En questionnant les habitants sur leurs trajectoires résidentielle, professionnelle, leurs pratiques numériques et de mobilité, nous cherchons à caractériser les modes d’inscription des pratiques sociales des habitants à différentes échelles géographiques, en prenant en compte les possibilités offertes par Internet pour accéder à des ressources distantes, mais aussi pour mieux connaître les ressources locales. Les choix résidentiels et professionnels, l’organisation de la vie quotidienne, les sociabilités révèlent le caractère essentiel de la voiture ainsi que l’importance prise par Internet pour accéder à une diversité de ressources sociales tout en résidant dans une commune rurale. Les pratiques observées inscrivent la commune dans une relation forte aux aires urbaines environnantes et au reste du monde, mais elles montrent également une appropriation forte des ressources de l’espace local.

(Un article de Margot Beauchamps et Hélène Trellu pubié dans la revue Netcomsous une licence CC by nc nd

Mots-clés : pratique, accessibilité, numérique, (im)mobilité, arbitrage, contrainte, ruralité

Introduction

Cet article [1] s’appuie sur une monographie d’une petite commune du centre Bretagne d’environ 300 habitants pour s’interroger sur la manière dont les pratiques numériques reconfigurent l’accessibilité aux ressources sociales.

Cette petite commune [2] est hors de l’influence des pôles selon le zonage en aire urbaine 2010 de l’INSEE. Elle est par ailleurs située dans un bassin de vie peu accessible (selon l’indicateur du temps moyen d’accès aux services d’usage courant au plus près du domicile [3]). C’est d’ailleurs sur la base de ces critères, à la fois démographiques et de situation géographique, que nous avons porté notre choix de terrain sur cette commune pour analyser ce que permettent ou pas les usages d’Internet et des autres outils de télécommunication numérique (téléphone, SMS) dans l’organisation de la vie quotidienne, dans les sociabilités et dans les potentialités d’accès aux ressources sociales pour les personnes habitant un territoire rural très peu accessible, même si le terrain nous conduit à relativiser la catégorisation par l’INSEE de la commune comme hors de l’influence des pôles.

Nous entendons par ressources sociales, l’ensemble des éléments matériels et immatériels, que peuvent mobiliser les individus en vue d’acquérir ou de maintenir une position dans l’espace social : emploi, logement, éducation, information, ressources culturelles, loisirs, santé (et plus généralement tout service marchand ou non marchand), réseau social, familial, etc.

La notion d’accessibilité aux ressources sociales est abordée ici du point de vue des personnes et non des lieux, c’est-à-dire qu’il s’agit d’examiner les contraintes qui s’exercent sur les individus dans le processus d’accès aux ressources sociales, et non pas de qualifier le niveau d’accessibilité de lieux (Miller, 2005 ; Ferreira et Batey, 2007). Ce choix se justifie non seulement parce que la démarche de monographie d’une commune invite à distinguer les modalités d’accès aux ressources pour des personnes résidant dans un même périmètre géographique restreint [4], mais aussi parce qu’aborder la question de l’accès aux ressources du point de vue des personnes plutôt que des lieux permet d’intégrer les ressources accessibles en ligne (Couclelis, 2000). Enfin, cela permet de considérer la dimension temporelle des contraintes qui s’exercent sur les individus : accéder à des ressources requiert du temps disponible, qui est réduit tant par des nécessités physiologiques (le besoin de dormir, par exemple), que des contraintes socio-économiques : nécessité de coordonner son emploi du temps social (volume de temps disponibles, horaires des institutions, disponibilité d’autrui, etc.) (Hagerstrand, 1970).

La recherche des traces du territoire investigué sur le Web a aussi pris une place importante dans notre terrain. Il s’agissait d’analyser la manière dont le cyberespace [5] est investi pour augmenter les ressources du territoire, en démultipliant les possibilités d’y accéder et en participant à la construction sociale du territoire.

Cette recherche se situe dans la continuité d’un ensemble de travaux qui se sont penchés sur les formes d’appropriations territoriales permises par les techniques de télécommunication, et en premier lieu Internet, dans les espaces de faible densité, qu’il s’agisse de territoires ruraux (Barthe et Vidal, 2011 ; Barthe et Milian, 2011 ; Moriset, 2001 ; Sajou, 2014) ou périurbains (Vidal et Rougé, 2011 ; Sajous et al., 2015). Les différentes figures du télétravail autorisant une localisation résidentielle sur des territoires infraurbains [6] pour des activités tertiaires tiennent dans ces travaux une place importante (Ortar, 2009 ; Moriset, 2007 ; Sajous, 2014). Plus généralement, la transformation, liée au numérique, des modes d’habiter et de l’accessibilité aux ressources dans les espaces infraurbains questionne bien des chercheurs, et ce depuis plusieurs décennies, même si les résultats de recherche restent rares (Gaspar et Glaeser, 1998 ; Graham, 1997 ; Bakis et Eveno, 2000 ; Vidal et Rougé, 2011 ; Sajous et al., 2015).

Cet article vise à confronter le potentiel « révolutionnaire » d’Internet aux expériences des habitants d’une petite commune bretonne, dans leur diversité sociale, en intégrant leurs (éventuelles) pratiques numériques dans une analyse plus générale de « l’ordinaire » de leur vie quotidienne (Dagiral et Martin, 2016). Il s’inscrit dans un projet de recherche ANR (Capacity [7]) qui vise à interroger le potentiel d’Internet à distribuer de manière plus égalitaire les pouvoirs d’agir.

Cette recherche s’inscrit également dans le sillon d’un ensemble de travaux sur les facteurs de renforcement des inégalités sociales que peuvent constituer l’essor des outils numériques (Granjon, 2005, Boutet et Trémembert, 2009, Van Djik, 2006), sur la dimension spatiale des inégalités sociales (Ripoll et Tissot, 2010, Ripoll et Veschambre, 2005), appréhendée notamment à travers la question de la mobilité (Bacqué et Fol 2007, Urry 2005). Enfin, le terrain choisi place le travail dans la lignée de recherches portant sur les pratiques spatiales et les représentations des habitants des espaces ruraux au XXIe siècle (Bonerandi, 2009, Banos et Candeau, 2015) et en particulier de faible densité (Gambino, 2011, Rieutort et Thomasson, 2015).

Nous nous basons principalement sur des entretiens menés auprès des habitants, tout en prenant en compte les politiques locales mises en place dans cette commune. Les récits de vie visent à retracer d’une part, les trajectoires résidentielle, professionnelle et d’appropriation des outils numériques, et à répertorier d’autre part, les pratiques numériques, de mobilité et les stratégies d’accès aux services et à l’information. Ils permettent de mettre au jour les différentes logiques qui prévalent dans les arbitrages faits entre mobilité, télécommunication et choix de localisation par les habitants d’âges et de situations sociales variés. Quelles places tiennent les contraintes (économiques, sociales, cognitives, etc.) dans ces possibilités d’arbitrage ? La faible accessibilité aux services est-elle compensée par des mobilités physiques et/ou numériques ? Le rôle respectif des déplacements, de la télécommunication et de l’ancrage dans la construction des identités et des imaginaires chez les personnes interrogées est également abordé dans les entretiens. Quel(s) monde(s) Internet permet-il d’habiter quand on réside dans une petite commune rurale ?

Après une présentation du terrain et des méthodes mobilisées, nous analysons, la manière dont les pratiques numériques modèlent l’accessibilité aux ressources sociales selon deux axes : d’une part, l’organisation de la vie quotidienne, appréhendée à travers les arbitrages entre mobilité, télécommunication pour l’accès aux ressources et pour l’aménagement des activités professionnelles et, d’autre part, l’inscription spatiale des sociabilités, en ligne et hors ligne.

Contexte : terrain et méthodes

Une monographie...

L’approche monographique permet d’embrasser un terrain de recherche dans sa complexité. En interrogeant plusieurs types acteurs (élus, associatifs, professionnels et habitants), elle permet d’inscrire les pratiques et usages des acteurs dans des logiques plus larges et de saisir finement le contexte dans lequel se manifestent les changements de la société (Weber, 2006).

Le recueil des données s’est effectué de trois manières : par observation, par entretiens et par recherche documentaire.

- Le travail d’observation (10 journées) visait à rendre compte des réalités sociales ordinaires de la vie quotidienne, à « faire voir » (Laplantine, 1996) des pratiques sociales, ce qui les oriente, ce qui amène les acteurs à leur donner telle forme. Concrètement, ce travail a consisté à repérer l’organisation des lieux, l’habitat, la présence de commerces, de services, d’établissements. La présence répétée sur le terrain, à différents jours de la semaine pour faire varier la population rencontrée, nous a permis de diversifier les observations, et de se faire reconnaître progressivement par une partie des habitants. Des temps d’observation spécifiques ont été également effectués dans le seul commerce de la commune et lors d’activités associatives. L’observation permet de voir comment un lieu vit mais aussi de multiplier les échanges informels.

- Parallèlement des entretiens ont été réalisés auprès de 23 personnes (élus locaux, bénévoles associatifs, professionnels exerçant dans la commune et habitants, certains se retrouvant dans plusieurs de ces catégories). 11 hommes et 12 femmes ont été rencontrés dans le cadre d’un entretien. Ils sont tous habitants de la commune sauf trois personnes (deux enseignantes de l’école et une assistante maternelle exerçant au sein de la Maison des Assistantes Maternelles de la commune). Parmi les enquêtés, quatre sont conseillers municipaux de la commune, dix sont à la retraite, onze en activité professionnelle ou en recherche d’emploi et deux sont lycéens. Nous avons d’abord rencontré les élus (et en premier lieu le maire), puis les associations, afin d’accéder, par ramification et effet boule de neige aux habitants, ce qui nous a conduit prioritairement vers des personnes assez impliquées dans la vie de la commune, qu’elles participent à des collectifs, ou se contentent d’assister aux activités organisées par d’autres. Ce choix s’est avéré judicieux pour comprendre une partie essentielle des dynamiques sociales à l’œuvre dans la commune, mais il ne nous permettait pas de recueillir les récits des « résidents distants à la vie locale » (Banos et Candeau, 2015). Le porte-à-porte a constitué une autre entrée vers la parole des habitants, que nous avons également mise en œuvre, mais dans une moindre mesure. Notons tout de même qu’il nous a conduites, par hasard, à retrouver des personnes déjà identifiées pour leur implication dans des activités organisées au sein de la commune, ce qui révèle l’importante ramification de ce réseau social de liens faibles et forts entre habitants de la commune. En effet, l’ensemble de nos entretiens, observations et rencontres, nous ont permis de reconstituer les places (catégorie socio-professionnelle, âge, réseau de relations, etc.) qu’occupent une petite cinquantaine d’habitants sur les 300 environ que compte la commune. Les habitants ont le plus souvent été interrogés à leur domicile, mais aussi, dans des locaux municipaux/associatifs, et plus rarement dans l’espace public (terrain de pétanque). Les entretiens, semi-directifs, portaient sur les trajectoires résidentielle, familiale, professionnelle/scolaire et d’appropriation numérique, ainsi que sur la manière dont ils accédaient à certaines ressources sociales. Nous n’avons pas cherché à construire a priori des indicateurs permettant de qualifier ou de quantifier les ressources sociales mobilisées par les personnes. Adoptant une démarche inductive, nous avons considéré que chaque individu mobilise des ressources sociales qui ont un sens pour lui en fonction de sa position sociale, son statut familial, son cycle de vie, ses habitudes et son mode de vie, etc. [8] En interrogeant les gens sur leurs trajectoires et leurs usages numériques, nous avons été attentives à la manière dont les personnes interrogées avaient identifié et mobilisé certaines ressources sociales structurantes, comme leur logement, leur emploi, leur conjoint-e quand elles en avaient un-e. Nous les avons également interrogés sur l’organisation de la vie quotidienne, et la place que prennent les pratiques numériques et de mobilité dans leur sociabilité quotidienne et dans l’économie domestique.

- Pour compléter les données recueillies, une recherche documentaire sur la commune a été menée à partir de récits écrits (et essentiellement disponibles en ligne) : articles parus dans la presse locale, bulletins municipaux ou encore comptes rendus de conseils municipaux. Nous avons également recherché la présence de la commune sur Internet, à travers le site de la communauté des communes, ou le référencement du nom de la commune sur les réseaux sociaux et les sites d’annonces entre particuliers (le bon coin et blablacar).

… dans une petite commune rurale

Pour mettre en perspective les résultats des observations et des entretiens présentés dans cet article, il convient d’abord de les replacer dans leur contexte territorial à travers un portrait de la commune.

Située à une dizaine de minutes en voiture d’une ville relativement touristique de quelques milliers d’habitants, la commune d’étude comprend un peu plus de 300 habitants. Elle est fortement agricole, hors des circuits touristiques, même si son enclos paroissial [9], et son paysage vallonné parviennent à attirer quelques curieux ou randonneurs. De cette commune, il faut environ 40 minutes (toujours en voiture) pour se rendre dans des agglomérations d’environ 25 000 habitants pour l’une, 80 000 pour l’autre. La première gare SNCF se situe à 40 minutes également. Et le supermarché le plus proche se trouve à une dizaine de minutes en voiture.

Le bourg, en forme de village-rue augmenté de quelques ruelles autour de l’église concentre environ la moitié des habitations. Le reste des maisons se répartit dans une dizaine de hameaux éparpillés sur les 12 km2 du territoire de la commune. Outre l’enclos paroissial et la mairie (qui assure un service postal réduit), un commerce combinant restaurant-bar et épicerie animait la rue principale du bourg jusqu’à sa fermeture à l’été 2016. L’arrivée et la sortie des enfants inscrits à l’école primaire, ou, juste en face, à la maison des assistantes maternelles rythment la vie du bourg en période scolaire. La salle polyvalente accueille au moins une fois par semaine une partie des habitants autour de jeux de sociétés, tandis que d’autres jouent à la pétanque sur le terrain adjacent. Enfin, une petite salle accueille une bibliothèque, ouverte quelques heures par semaine, et gérée par une poignée de bénévoles particulièrement actifs dans l’organisation d’événements culturels.

Au plan démographique, la population de la commune a presque été divisée par deux entre 1962 et 1999, puis a légèrement augmenté depuis. Au cours de la décennie écoulée, la commune a de nouveau dépassé le seuil des 300 habitants (un peu plus de 150 ménages). La tranche d’âge la plus importante est celle de 0 à 14 ans (près d’un cinquième de la population totale), suivie de près par la tranche d’âge 45 à 59 ans. La structure par âge de la population de la commune est assez proche de celle de la France métropolitaine, avec toutefois un peu plus de personnes de 60 ans et plus, et un peu moins de personnes âgées de 30 à 44 ans.

On compte aussi en proportion un peu moins d’actifs : environ 120 actifs de plus de 15 ans, dont une trentaine travaillant au sein de la commune. La part des actifs non-salariés dans la commune est importante, ce qui peut s’expliquer par le poids des agriculteurs exploitants. La part du secteur agricole est forte puisqu’elle regroupe 39 % des établissements actifs, alors qu’elle est de 6,5 % en France métropolitaine. Toujours concernant l’activité professionnelle, le temps partiel féminin y est plus fréquent (45 %), il est en moyenne de 29 % au plan national.

Le parc de logement (environ 200 logements) est quasi exclusivement constitué de maisons individuelles, dont 11 % sont des résidences secondaires, et 15 % de logements vacants en 2014. Le parc est relativement ancien : en 2012, environ un tiers des logements datait d’avant 1946, près de la moitié avait été construite entre 1946 et 1990 et environ 20 % après 1990. Le maire a souligné la difficulté rencontrée par les propriétaires quand ils souhaitent vendre leur logement, ce qu’ils parviennent à faire à un prix bas [10]. Par ailleurs, les habitants de la commune sont majoritairement propriétaires de leur logement (85 % en 2014) et ont dans l’ensemble une ancienneté moyenne d’emménagement assez élevée (un peu moins de 22 années contre 15 années en France métropolitaine). La commune dispose en outre de 8 logements sociaux loués [11].

Le maire est la première personne que nous avons rencontrée. À 71 ans, il effectue son second mandat. Originaire de la commune, il est revenu au moment de sa retraite de cadre supérieur de France Télécom, peu d’années avant son élection en 2008. Du fait de son expérience professionnelle, il s’est aussitôt mobilisé pour le développement du numérique et a impulsé le raccordement en fibre optique du répartiteur (ou central téléphonique) du territoire. Il a également œuvré pour la mise en place, en 2016, du site Web de la commune et pour que l’école primaire entre dans le dispositif « école numérique rurale ». L’école publique accueille 32 élèves répartis dans deux classes. Maurice Gueneau (2011) rappelle le caractère structurant du maillage scolaire en milieu rural sur l’organisation des transports en commun, sur les pratiques de mobilité mais aussi plus largement, sur l’inscription spatiale des sociabilités infantiles.

Des habitants aux trajectoires résidentielles différenciées

Dans le cadre des entretiens, nous avons questionné les habitants sur leurs trajectoires résidentielles en postulant que ces dernières nous permettraient d’accéder à des clés de compréhension pour lire les pratiques plus larges des habitants. Ainsi, les entretiens ont permis de distinguer trois logiques dans les trajectoires résidentielles.

Des “enfants du pays”

Plusieurs personnes rencontrées ont toujours vécu dans la commune d’étude. Ces adultes qui sont restés vivre dans leur commune d’origine sont des fils et filles de personnes qui travaillaient sur la commune en tant qu’agriculteurs ou commerçants. Pour les parents de ces personnes âgés de 45 à 75 ans, le territoire de la commune mêlait vie familiale et vie professionnelle. Eux-mêmes travaillent en partie sur la commune. Pour parler de leur « immobilité résidentielle », ces habitants mettent en avant leur attachement au territoire.

Certains de ces habitants s’engagent pour l’avenir de leur commune. Les conseillers municipaux rencontrés soulignent la nécessité de « se moderniser », de penser le développement et l’attractivité de la commune pour éviter que la zone se désertifie et devienne une zone sans habitants et activités, où « On dira, bah non, dans cette zone là, en fait, on décrète qu’il y a plus, y a plus besoin d’avoir d’habitants [...] Dans les années, dans les années à venir, c’est des choses qui peuvent être envisagées, parce que ça sera, ça coûtera trop cher. On va pas laisser trois habitants ».

Les “adoptifs” attirés par les prix de l’immobilier

Concernant les trajectoires résidentielles de ceux qu’on nommera les « adoptifs » au sens où ils ne sont pas originaires de la commune, plusieurs logiques se distinguent, et parfois se cumulent : rapprochement de la famille, compromis au sein de couples, attrait du paysage, etc. Mais parmi les facteurs d’installation, le prix du foncier pour les propriétaires, ou l’opportunité du logement social pour les locataires, jouent un rôle essentiel, à tel point que cette forte accessibilité du logement, semble avoir donné lieu dans l’ensemble des cas à des décisions rapides, qu’une bonne partie des personnes rencontrées reconsidère, se sentant désormais « captives » (Rougé, 2009) de ce territoire bon marché, et qui offre peu de ressources (travail, opportunités de rencontres, activités, etc.).

Mélodie, 25 ans, vivait dans une ville côtière dans un appartement loué à un bailleur social. Elle est célibataire, mère de deux jeunes enfants scolarisés. Elle souhaitait « offrir un jardin à ses enfants » et quitter cette ville de manière urgente pour des raisons personnelles. En allant sur le site internet « le bon coin », elle a repéré une annonce concernant une maison en logement social dans la commune et a saisi l’occasion. C’est après son installation (un an avant le moment de l’entretien) qu’elle a pris la mesure de l’éloignement des services urbains et des possibilités d’emploi.

Les huit logements sociaux sont une opportunité pour la commune de voir des familles s’y installer. L’enjeu est multiple : un rajeunissement de la population mais aussi des enfants qui fréquentent l’école. Le maire explique que les maisons en logement social connaissent un fort turn-over. Les ménages attirés là, le sont au gré de l’opportunité que représente un logement social disponible, mais peuvent venir de tout le département et, n’ayant pas d’attache dans la commune et ses alentours, ils sont susceptibles de déchanter rapidement face aux faibles ressources offertes localement.

Certains habitants ont acheté leur maison sans être originaires de la commune. Annabelle Morel-Brochet (2011) souligne que dans la hiérarchie des critères pour choisir un lieu d’installation, le critère « proximité des services et des commerces » ne tient pas le même rang selon que les personnes souhaitent s’établir en ville ou à la campagne. En milieu rural, ce sont davantage les aménités de la campagne qui sont recherchées. Les nouveaux résidents recherchent « moins la disposition immédiate des biens et des services qu’un accès rapide à ceux-ci » (Morel-Brochet, 2011). Les acquéreurs savent que l’obtention d’une maison à coût réduit suppose un éloignement des services et commerces. En effet, parmi les habitants interrogés, le faible coût de l’immobilier est souvent le facteur mis en avant pour expliquer leur installation dans la commune, notamment quand ils recherchent des surfaces importantes, et de l’espace pour des activités professionnelles ou organiser des événements collectifs. Évelyne vivait dans une grande ville avec son mari anglais. Ils ont emménagé en 1980 dans la commune. Son mari souhaitait disposer d’un grand espace pour y faire un atelier de fabrique et réparation d’instruments de musique. Le couple voulait également pouvoir organiser des concerts « à la maison », accueillir des artistes. Évelyne raconte que c’est son mari qui était à l’initiative de ce projet. Ils ont acheté l’ancienne école de la commune à un prix très bas. C’est ce qui a fini par convaincre Evelyne. Elle a quitté un emploi qu’elle appréciait dans l’animation socio-culturelle au sein d’une maison de quartier. “J’ai fait la plus grosse bêtise de ma vie : j’ai quitté un boulot que j’adorais pour venir habiter [ici] avec mon mari [...]. Je n’étais pas faite pour rester à la maison quand j’étais en âge de travailler. J’ai recherché du travail. J’ai trouvé du travail à [40 minutes d’ici] comme conseillère à l’emploi en Mission Locale”. Divorcée depuis, elle est restée dans la maison. Aujourd’hui, la soixantaine, elle est à la retraite et propose une chambre d’hôte au sein de son domicile, via Internet. Elle continue de proposer des concerts et d’inviter des artistes.

À leur retraite, il y a 11 ans, Annie et son mari ont acheté leur maison pour se rapprocher de leur fille unique et de leurs deux petits-enfants, installés dans une ville de la région. Originaire respectivement du Poitou et du Sud-Ouest, ils étaient installés dans le Gard, où Annie était institutrice spécialisée. « On a regardé 50 km autour [de la commune de résidence de notre fille], on a regardé ce qu’on avait comme sous pour acheter une maison. Alors a vu que c’était quand même plutôt par là ». Si Annie a su se constituer un réseau d’amis et d’activités qui l’ancre dans cette commune d’adoption, son mari regrette la rapidité de leur installation dans une commune où il n’a pas d’attache, et dont il supporte mal le climat : « Il dit « on aurait dû louer » et je crois que c’est vrai. Il a raison, on aurait dû louer et prendre le temps d’être là ».

Choisir un lieu pour y vivre et travailler

Nous distinguons enfin des logiques résidentielles dans lesquelles le travail tient une place essentielle, soit parce qu’il motive l’installation sur la commune, soit parce qu’il est façonné pour s’adapter, en termes de contraintes spatio-temporelles, à une localisation résidentielle dans ce territoire. Cette logique résidentielle peut s’appliquer aux « enfants du pays », comme aux « adoptifs ». Dans beaucoup de ces cas, les possibilités offertes par Internet tiennent une place importante, que les Tic (Technologies de l’information et de la communication) tiennent ou non leurs promesses. Ces logiques résidentielles dans lesquelles l’activité professionnelle est aménagée pour être compatible avec une localisation infraurbaine sont détaillées dans la partie suivante (partie 2.2)
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L’accessibilité au quotidien : mobilité, télécommunication

La mobilité en milieu rural : l’importance de la voiture

La voiture tient une place fondamentale dans l’organisation de la vie quotidienne des habitants de cette commune, comme plus généralement en France dans les espaces ruraux de faible densité (Hubert, 2016). Le recensement INSEE de 2013 indique que dans cette commune, un peu moins de 8 % des ménages, soit, une dizaine, ne possèdent pas de voiture. Parmi eux, Steven, musicien anglais d’une soixantaine d’années, qui s’est installé dans la commune il y a plusieurs décennies. Ayant perdu une partie de ses capacités visuelles, il ne peut plus conduire. Son approvisionnement repose sur la solidarité de sa voisine, qu’il aide en retour quand celle-ci est confrontée à un problème informatique. Pour autant, Steven est très mobile, comme en atteste sa trajectoire résidentielle et ses déplacements internationaux (et également très connecté en ligne) : marié à une chinoise, qui vit en Chine, où il l’a rencontrée à une époque où il y vivait, Steven utilise Internet pour les contacts quotidiens avec sa compagne et pour organiser ses voyages réguliers pour la retrouver.

Nous n’avons pas rencontré les autres ménages non motorisés, qui correspondent vraisemblablement aux personnes les plus âgées, en situation de dépendance. Cependant, Mélodie, 25 ans, et mère de 2 enfants, a connu aussi provisoirement cette forme d’enfermement dans la commune, du fait de l’impossibilité financière de réparer, pendant quelques mois, sa voiture.

Jusqu’à l’été dernier, la petite épicerie du bar-restaurant assurait un rôle de dépannage pour quelques produits d’usage courant, notamment pour les personnes âgées dépendantes (dont certaines se faisaient amener leurs courses à domicile par le fils des gérants), mais pour le reste, le déplacement est indispensable. L’éloignement des services et commerces et la quasi-absence d’offre de transport en commun placent les habitants de la commune dans une situation de « dépendance automobile » (Dupuy, 2006, Motte, 2006). Posséder une voiture est une nécessité pour faire ses achats [12], pour se faire soigner, ainsi que pour la plupart des loisirs. C’est également nécessaire pour se rendre au travail, même si d’après l’INSEE, 5 % des actifs de la commune indiquent se rendre à pied au travail, et 10 % ne faire aucun déplacement pour s’y rendre. Il peut s’agir des agriculteurs, comme des entrepreneurs ayant développé leur activité à domicile comme Luc (gîtes), Lucie (papeterie), ou encore Sylvie (architecte-paysagiste), Serge (garagiste). Quant à Jocelin, tailleur de pierre, et Susie (intermittente du spectacle), leur travail exige parfois des déplacements, mais se pratique aussi beaucoup à domicile ou dans l’atelier attenant.

Les mobilités qui se dessinent au gré des entretiens et des échanges informels témoignent d’une double logique : à la fois un fort ancrage des pratiques sur le territoire local (voir sur ce point les parties 2.3 et 3) et une polarisation par les différents centres urbains, certains habitants pouvant d’ailleurs agir selon ces deux logiques. Si les flux domicile-travail classent la commune dans la catégorie des « communes isolées hors influence des pôles » selon le zonage en aire urbaine 2010 de l’INSEE, les déplacements liés à la scolarité, aux loisirs, aux achats, etc. montrent une influence forte des villes environnantes, plus ou moins grandes et plus ou moins éloignées. De plus, comme le rappelle Michel Rouxel (2011), pour les 15 % de communes bretonnes classées « hors de l’influence des pôles », « cette influence peut exister, mais elle concerne moins de 40 % des actifs : ceux qui se déplacent vers les pôles pour aller travailler ». Soulignons également que, par rapport à la moyenne nationale, « l’influence des villes bretonnes s’exerce sur un territoire plus étendu. Le réseau des villes petites et moyennes, mais aussi la répartition spatiale moins concentrée des emplois (notamment agroalimentaires) confèrent à la région un système urbain plus diversifié et un maillage relativement serré. Par rapport aux autres régions de province, la population bretonne est beaucoup moins concentrée dans les grands pôles urbains […] et plus étalée dans les couronnes mais aussi dans les espaces multipolarisés » (Rouxel, 2011). Il se peut que ce constat, qui s’appuie sur le zonage en aire urbaine et ne concerne donc pas la commune d’étude, puisse s’étendre à d’autres formes d’influence de la ville, à travers des types de déplacement (loisirs, achats, etc.) que le zonage en aire urbaine ne permet pas de mesurer. La densité ancienne de petits bourgs qui polarisent des territoires d’habitat individuel diffus est une singularité de la trame urbaine bretonne. Daniel Le Couédic et Lionel Prigent (2014) montrent, en remontant à l’ère médiévale, que la Bretagne s’inscrit dans une histoire longue de l’urbanisation diffuse.

Les mobilités dessinent donc des modes d’habiter qui rapproche la commune d’étude du monde périurbain, comme ont pu le montrer Monique Poulot (2008) ou Annabelle Morel-Brochet (2007). Cette dernière conclue à l’identité des modes d’habiter entre le périurbain et le rural, la distinction se jouant plutôt aux niveaux des manières de vivre et des représentations sur « la campagne » versus « la ville », soit une distinction morphologique des types d’espaces (grande densité/faible densité).

Travailler à la campagne, entre ancrage, mobilité et interactions à distance

Sur la commune investiguée, plusieurs emplois sont présents. Nous avons rencontré le couple qui tient le seul commerce, un bar-restaurant-épicerie. Mélanie a 36 ans. Originaire de Poitiers, elle est en couple avec Mathieu, originaire de Lille. Ils ont un fils de 10 ans. Ils sont arrivés en 2012 dans la commune pour reprendre le commerce, ouvert en 1998 par un autre couple, et qui depuis 2 ans concentrait leur activité autour du restaurant ouvrier en semaine. Pour assurer la survie du dernier commerce, une annonce est passée sur le site de TF1 SOS villages, avec la promesse d’un reportage dans le journal de 13h après l’installation du repreneur. En février 2012, l’immeuble a été acheté par la communauté de communes. C’est Mélanie et Mathieu qui s’y sont installés. Ils ouvraient alors sept jours sur sept, de 7h à 21h, à la demande de la municipalité. Le couple raconte que peu à peu ils ont décidé de réduire les heures d’ouverture. Cinq années après leur arrivée, Mélanie et Mathieu ont décidé de le quitter pour ouvrir un restaurant d’une gamme supérieure, dans une ville des environs (8000 habitants) située à 30 minutes de voiture, où ils se rendaient de plus en plus souvent pour leurs activités de loisirs (en particulier, pour le sport) [13]. Ces différentes étapes de leur trajectoire résidentielle illustrent bien une partie des tensions entre les logiques qui président aux différentes manières d’habiter la commune. L’étape de leur installation dans la commune pour y tenir l’unique commerce-restaurant correspond à une logique d’ancrage forte puisqu’elle suppose de travailler et résider dans la commune, s’ajoute alors la scolarisation de leur fils dans l’école municipale, et donc une inscription dans le tissu des relations sociales composé par les habitants particulièrement forte. La sous-partie suivante montre l’importance de leur présence dans la commune comme support d’ancrage pour les autres habitants. L’étape de leur départ (entraînant la fermeture du commerce) résulte de l’attrait croissant de la ville pour cette famille qui multipliait les déplacements de loisirs vers cette dernière. Leur fils entrait également au collège situé dans cette même ville. Les outils de télécommunication n’ont dans leur cas pas permis de pallier le manque de ressources locales.

Jacques a d’abord vécu à Brest, avec sa femme et ses enfants, avant d’acheter une maison dans la commune en 1999. Dirigeant et fondateur d’une société de conseil en qualité, il peut exercer son activité en milieu rural pour deux principales raisons : lui et ses associés travaillent essentiellement chez le client et les outils numériques leur permettent de collaborer sans être dans les mêmes locaux. La localisation géographique du siège d’une telle entreprise est peu dépendante de la localisation de ses clients. Il explique que ses clients ne viennent jamais le voir, c’est toujours lui ou ses associés qui se déplacent. Le choix de cette commune d’habitation semble relever de plusieurs éléments : un « coup de cœur » en se promenant un dimanche dans cette campagne et l’envie d’acheter une grande maison car Jacques et sa femme sont parents de 8 enfants. La femme de Jacques n’exerce pas d’activité professionnelle. Dans le cas de Jacques, la télécommunication et la mobilité permettent de vivre et travailler à la campagne, la capacité d’ancrage dans ce territoire offrant peu de ressources étant essentiellement un enjeu pour sa femme et ses enfants.

Luc, 54 ans, cumule trois activités professionnelles : ouvrier agricole, autoentrepreneur dans la réalisation de travaux pour les particuliers et loueur d’un gîte. Enfant d’agriculteurs, Luc est originaire de la commune. Il n’a pas souhaité reprendre l’exploitation de ses parents, le métier étant très difficile. Pour pouvoir rester vivre dans cette commune, il est obligé d’exercer plusieurs activités professionnelles. Il circule dans un rayon de 30 km autour de son domicile pour son travail. Le gîte qu’il loue est son « ancienne maison de célibataire » qu’il a entièrement rénovée. Sa belle-fille, Lucie, a créé un site Internet pour la location de son gîte. Luc distribue également des petites cartes à ses clients et dit que « le bouche-à-oreille » fonctionne très bien. À côté de cette maison, il y a des dépendances qu’il avait pour projet d’aménager avec entre autres un espace bien-être, spa. Mais même si son gîte est régulièrement loué, il a décidé de vendre sa propriété à son voisin, jeune agriculteur. Une des raisons qu’il donne est la difficulté à développer un tourisme d’affaire autour de son gîte (location pour des séminaires de travail) car il ne peut offrir à ses clients de connexion Internet suffisamment fiable [14]. Or ce tourisme d’affaire est une partie de la clientèle qu’il ciblait pour les locations en semaine. Le cumul d’activités (professionnelles et extra-professionnelles, car Luc est également engagé pour sa commune en tant qu’élu et membre de collectifs), l’insertion dans un tissu local de relations sociales et notamment familial, dense favorise son ancrage dans la commune. Luc croit également beaucoup à la nécessité de développer une visibilité sur le Web des ressources locales pour faire vivre le territoire.

À l’opposé de Luc ou Jacques, Jocelin, 55 ans, artisan reconnu au niveau national dans sa spécialité (ancien compagnon, il a été distingué comme meilleur ouvrier de France) donne la preuve que l’on peut exercer son activité de manière indépendante, dans une commune rurale isolée, sans avoir recours à Internet, ni au téléphone mobile. Curieux de nature, il n’est pas technophobe et a acheté, dans le passé, un Macintosh pour stocker les photographies numériques de ses réalisations, et s’était abonné à Internet, mais il se dit « pas certain du bien fondé de cette technologie ». Il s’est désabonné, quand son ordinateur a montré des signes d’obsolescence et qu’il a cessé de l’utiliser. Jocelin explique que les gens, notamment ses clients, s’adaptent aux contraintes qu’il impose (laisser un message sur son répondeur de téléphone fixe et attendre sa réponse), et souligne que le numérique tend à compliquer plus qu’à faciliter la communication : « J’ai un architecte qui est sans cesse en train de me dire “ah, t’as encore pas de mail, et tout ça, je t’aurais envoyé une photo, en pièce jointe” etc. […] J’avais un problème sur un chantier. Je l’ai tanné pendant deux semaines, en lui laissant des messages le matin, tout ça, voilà. Il m’a pas répondu. Alors quel est le progrès de, de ces nouvelles technologies ? Si, si on veut pas s’en servir comme il faut […] Parce que, je veux dire, dans le temps, au siècle dernier, quand le téléphone sonnait, on le décrochait systématiquement parce qu’on ne savait pas qui allait répondre. […] Après y a eu le répondeur. ». Jocelin se déplace à l’échelle départementale pour se rendre sur différents chantiers, quand il ne travaille pas dans son atelier. Ses pratiques de télécommunication pour se coordonner avec ses clients se concentrent sur le téléphone, le répondeur et le courrier. Il profite de ses déplacements pour accéder à des ressources non disponibles localement qu’il affectionne : il fréquente ainsi les librairies, bouquinistes, vide-greniers pour se procurer des livres d’art.

Lucie, 31 ans, est une enfant de la commune. Elle est mariée et mère de deux jeunes enfants. Lucie a obtenu un baccalauréat professionnel dans l’hôtellerie et la restauration. Elle a commencé à travailler dans ce domaine d’activité et a vécu à l’étranger. En 2009, à la naissance de son premier enfant, elle dit « ne plus avoir envie de travailler le soir ». La question de l’articulation vie professionnelle et vie familiale se pose. Plus qu’une question de localisation géographique, c’est la question des horaires qui est problématique dans ce secteur d’activité. Dès 2010, elle crée son autoentreprise en tant que webdesigner. L’année suivante, elle crée sa boutique en ligne de papeterie. Elle explique s’être « formée [elle-même] aux techniques d’imprimerie ou de découpe professionnelle, ainsi qu’aux logiciels de créations ». En parallèle, elle travaille auprès des enfants pour les services municipaux sur les temps périscolaires. Depuis 2012, sa boutique en ligne constitue sa seule activité. Elle a de nombreux clients sur le territoire national et à l’étranger. Elle travaille ainsi de chez elle et adapte ses horaires de travail en fonction de ses autres contraintes, selon une logique déjà observée par Nathalie Ortar sur d’autres terrains « infraurbains » (Ortar, 2009). Cette activité professionnelle repose sur l’usage d’Internet puisque sa boutique est uniquement en ligne : les contacts avec ses clients et ses fournisseurs se font exclusivement par courriel, voire par messages sur les réseaux sociaux avec ses clients. En plus du site Web de sa boutique en ligne, Lucie est très active sur les réseaux sociaux pour son activité professionnelle. Elle a un compte Facebook professionnel ; elle est présente sur Pinterest et Instagram. Elle explique qu’elle n’aurait pas développé son activité professionnelle sans Internet car « les frais d’une boutique physique ne sont bien sûr pas les mêmes ». L’articulation des temps sociaux à travers une activité en ligne peut constituer pour les femmes l’opportunité de poursuivre une activité professionnelle sachant qu’elles sont encore celles qui assument la majorité des tâches domestiques et parentales (Brousse, 2015).

Les différentes situations évoquées ci-dessus montrent qu’en fonction de leur activité professionnelle, de leurs aspirations, des ressources sociales dont ils ont besoin ou envie (pour leur travail comme pour leur vie privée), les habitants arbitrent plus ou moins en faveur de la télécommunication, de la mobilité ou du recours aux ressources locales. Les TIC peuvent permettre d’ancrer une activité professionnelle dans un territoire rural alors même que cette activité nécessite d’être en contact avec des clients éloignés géographiquement. Les TIC peuvent aussi offrir une visibilité aux activités développées sur ce territoire, activités qui deviennent elles-mêmes ce que H. Gumuchian et B. Pecqueur nomment des « ressources territoriales, soit de[s] caractéristique[s] construite[s] d’un territoire spécifique et ce, dans une optique de développement. » (Gumuchian et Pecqueur, 2007, p. 5).

E-commerce et pratiques collaboratives (traditionnelle et en ligne)

La rareté des équipements commerciaux et de l’offre de transport rend précieuses les possibilités d’acheter en ligne (Belton et al., 2014) et les formes d’échanges de services ou de biens matériels, qu’ils se fassent entre personnes qui se connaissent ou grâce à des sites de transaction de pair à pair. Selon les cas, ces différentes formes de transaction permettent d’éviter des déplacements, ou au contraire, en suscitent.

Dans certains cas, plus que d’éviter un déplacement pour accéder à une ressource, le recours à l’e-commerce pallie tout simplement au manque de certaines ressources dans un rayon élargi voire il réduit le temps pour accéder à une ressource, qui aurait pu être aussi difficilement accessible dans une grande ville. Annie explique : « J’achète [sur Internet] des trucs qu’on ne trouve pas ailleurs. Par exemple, un bouquin, j’arrivais pas à le trouver. J’avais demandé partout, il aurait fallu que j’attende, etc. et là, sur Amazon, je l’ai eu en 24h. C’est la première fois que j’ai acheté sur Amazon. Et la première fois quelque temps auparavant que j’ai acheté sur Priceminister. Pareil, c’était quelque chose que je pouvais pas trouver ailleurs ».

Pour Annie, le recours aux plateformes d’e-commerce ne va pas sans crainte de contribuer à affaiblir encore les ressources disponibles localement. « Je ne vais pas au drive. Je veux garder du boulot aux gens du coin. Je sais pas si mon raisonnement est bon, mais... Ça peut paraître contradictoire parce que j’utilise moi-même l’informatique, mais en même temps je me dis le numérique a quand même détruit [des emplois...], et en même temps, n’a pas laissé de place, parce qu’il pourrait y avoir des trucs nouveaux qui apparaissent. »

Dans nombre des entretiens réalisés, la plateforme leboncoin.fr a été mentionnée. Précisons que ce site figure depuis quelques années parmi les dix sites les plus visités par les internautes français [15]. Comme son nom l’évoque, leboncoin.fr repose en grande partie sur la dimension locale, et dans la pratique les échanges se font beaucoup en face-à-face (Garcia-Bardidia, 2014). Pour autant, les pratiques de transactions opérées grâce au boncoin.fr amènent à une redéfinition territoriale des zones d’achats et de ventes. Chaque individu détermine ainsi l’échelle territoriale qui lui convient. Son usage permet à la fois de révéler les ressources disponibles localement à travers les annonces d’objets à vendre à proximité, mais il suscite parfois également des trajets plus lointains : par exemple, Susie est allée acheter un meuble à 40 kilomètres et Luc n’a pas hésité à faire près de 500 kilomètres pour acheter des planches de bois spécifiques difficiles à trouver.

D’autres pratiques numériques peuvent influer sur les mobilités des habitants de la commune, en particulier celles qui facilitent les déplacements dans ce contexte d’offre de transport quasi-inexistante. Un car en transport à la demande passe bien de temps en temps dans la commune, mais il est plus efficace de faire du stop (c’est ce que font certains jeunes qui n’ont pas le permis) ou d’utiliser blablacar. Certaines des personnes interrogées voient dans les sites de covoiturage un moyen de pallier le manque de transports en commun du territoire. Ainsi Luc, 55 ans, a recours au covoiturage pour faire conduire son fils au lycée où il est en internat, plutôt que de faire l’aller/retour.

Les sites de transaction de pair à pair semblent répondre aux attentes des habitants en multipliant les potentialités d’achats et de ventes, d’offre de services.

Mais pour les nombreux non-usagers d’Internet, l’entraide et le troc se pratiquent beaucoup grâce à la circulation de l’information permise par les liens de sociabilité au sein de la commune. Lors des deux premiers mois de notre enquête, l’unique bar-restaurant-épicerie de la commune a constitué (jusqu’à sa fermeture) l’un des pivots essentiels de notre accès au terrain. Soutenu par les pouvoirs locaux, le maintien de ce commerce constituait un enjeu majeur pour la commune. En effet, non seulement ce commerce était le relais de multiples services (dépôt de pain, commerce de proximité, possibilité de retirer de l’argent en payant par carte bleue, etc.), mais aussi il s’agissait de l’un des principaux lieux de sociabilité du petit bourg. Jusqu’à l’été 2016, il accueillait à l’heure du déjeuner des travailleurs, plus ou moins réguliers, venus d’autres communes. Certains des habitants de la commune y avaient leurs habitudes, voire leurs rites, ce qui permettait aux tenanciers d’y assurer (en grande partie bénévolement) le rôle de relais d’information, voire de conciergerie informelle : on y déposait un objet ou un message (à l’oral le plus souvent) à l’attention d’un autre client, on s’y renseignait ou simplement s’y exprimait, de sorte que ce commerce constituait une sorte de hub capable d’organiser des liens d’entraide de pair à pair, sans avoir recours à la technique de la petite annonce, qu’elle soit en ligne ou hors ligne. On comprend ainsi aisément qu’à la fermeture de ce commerce, élus et habitants ont œuvré pour qu’il réouvre rapidement (février 2017). Une annonce pour trouver un nouveau gérant a d’ailleurs été postée sur le site leboncoin.fr.

Au-delà du commerce qui assurait ce rôle de plateforme lors de notre étude, les informations circulent à travers les liens forts qu’ont une grande partie des habitants avec certains de leurs voisins, qui sont également leurs frère/sœur/cousin/cousine/fils/fille, ou avec qui ils ont, pour certains, noué des liens d’amitié. La partie suivante, sur les sociabilités développent les modes de circulation de l’information au sein de la commune.

Les sociabilités : entre ancrage et éclatement

Nous avons vu que l’installation dans la commune comme le fait d’y être un natif ou un résident de longue date inscrit les parcours de vie dans une dynamique d’ancrage plus ou moins fort au sein de l’espace local en fonction du degré d’insertion dans des réseaux sociaux locaux. Dans cette partie, nous présentons d’abord la manière dont s’organisent les interactions dans la « configuration socio-locale » (Elias, 1981) particulière de la commune, en analysant la manière dont circule l’information, notamment au sein de collectifs (plus ou moins institutionnalisés). Ces collectifs sont mus en grande partie par la volonté de construire des ressources sociales locales (événements, personnes ressources, services, etc.). Puis nous nous intéressons à l’échelle et aux pratiques de sociabilité des habitants, en se penchant sur la manière dont Internet est mobilisé pour supporter des sociabilités éclatées dans l’espace.

L’implication, à divers degré de nombreux habitants dans des collectifs, plus ou moins organisés, et institutionnalisés, permet de tisser un réseau relativement dense de liens faibles entre une bonne partie des habitants de la commune.

De manière assez attendue, la densité et l’étroitesse du réseau d’interconnaissance rendu possible par le fait de résider dans une petite commune, permet assez facilement de se passer d’outils de télécommunication pour faire passer un message, entretenir par de petites interactions répétées des liens faibles, réseau qui permet une circulation (pas toujours optimale [16]) de l’information.

Circulation de l’information au sein des collectifs

Nous avons cherché à comprendre comment les membres de ces collectifs (conseil municipal, associations, autres collectifs) se coordonnent et s’organisent pour faire circuler l’information, entre membres et vers l’extérieur, en étant attentives au rôle des outils numériques et à la manière dont ceux-ci sont remplacés par d’autres techniques. Les modes de coordination de quelques-uns de ces collectifs, qui œuvrent à la création de ressources locales, sont présentés ici.

La municipalité

Si une partie du fonctionnement interne de la municipalité s’appuie sur le numérique, la majeure partie des relations avec les habitants se fait en face-à-face et par téléphone. Le terrain s’est effectué dans une période de transition : le site Web communal en était encore au stade de projet (déjà fort avancé) lors du premier entretien avec le maire, en mai 2016. Jusqu’alors, la présence en ligne (officielle) de la commune était assurée par quelques pages de description sur le site officiel de la communauté de communes. La mairie ne disposait donc pas de la maîtrise de l’outil de communication. La coordination du projet de site Web, confiée à la secrétaire de mairie, consistait à répartir la charge de rédaction du contenu entre les différents élus, et à s’assurer de la correction de celui-ci par les bénévoles de l’association de lecture. En septembre 2016, quand nous avons rencontré le maire pour la deuxième fois, le site était en ligne depuis quelques jours, mais pas encore officiellement annoncé. Nous avions reçu le lien de la part de la secrétaire de mairie et les réactions que nous pouvions avoir à la découverte du site Web étaient particulièrement attendues. Dans des échanges, certains habitants ont pu dire qu’ils ne voyaient pas l’intérêt (pour leur propre usage) du site Web communal : les horaires d’ouverture de la mairie sont connus de tous, et on peut s’adresser directement à la secrétaire de mairie. Cependant, cette dernière pointe l’utilité du site Web pour les salariés, qui peuvent grâce au formulaire de contact s’adresser à elle de manière asynchrone, en dehors des heures de travail.

Les contraintes spatiales et/ ou temporelles sont donc invoquées pour identifier les apports des outils de la messagerie et du site Web, soit en termes de potentialités (l’apport potentiel de l’asynchronie pour les salariés), soit pour justifier des pratiques observées (l’utilisation de la messagerie pour les personnes habitant à distance). Nous avions fait l’hypothèse que les usages de ces outils, notamment pour les échanges administratifs différeraient grandement entre actifs et inactifs, en raison précisément des différences dans les contraintes spatio-temporelles qui s’exercent sur les individus en fonction de leur rapport au travail. Les informations fournies par la secrétaire de mairie sur l’utilisation de la messagerie municipale, qui offrait déjà cette possibilité montrent que cette potentialité de gestion asynchrone n’est que peu activée dans le cas des échanges avec la mairie.

Collectifs centrés sur l’animation de la commune

Le recours aux outils numériques dans l’organisation des collectifs est en partie (seulement) déterminé par l’orientation plus ou moins extérieure au territoire des activités de ces collectifs.

Ainsi au sein de l’association qui se charge des animations visant les seniors, et pour laquelle l’ouverture vers l’extérieur du territoire n’est pas pertinente, les bénévoles n’ont pas recours au numérique. Les besoins de télécommunication sont inexistants dans la mesure où l’horaire des activités est immuable : un après-midi par semaine, le même à toutes les saisons de l’année, les personnes qui le souhaitent (essentiellement des femmes âgées) se rendent dans la salle polyvalente pour y jouer au scrabble ou autres jeux de société, boire du café et discuter. Au même horaire, les hommes (principalement) se retrouvent pour jouer à la pétanque. Si un changement était à prévoir (indisponibilité exceptionnelle de la salle polyvalente), les outils numériques ne seraient d’aucun secours pour en informer les adhérents : la plupart n’utilise pas Internet, et l’information circulerait plus efficacement par bouche à oreille ou au moyen d’une affichette.

L’absence de recours au numérique dans cette association pourrait être interprétée comme un effet générationnel. Mais l’analyse des modes de coordination de l’association qui, symétriquement, vise les jeunes et est animée par les jeunes de la commune, que nous rebaptisons dans cet article « Dans la place », montre qu’une lecture générationnelle passe sous silence d’autres logiques. En effet, au sein de cette association, les jeunes s’organisent sans jamais échanger de courriels. Mais d’une manière générale, les courriels sont peu utilisés par cette tranche d’âge qui mobilise davantage les SMS, la messagerie instantanée ou les réseaux sociaux dans le cadre de la sociabilité entre pairs. L’organisation des événements se fait lors de réunions. Pour planifier ces réunions, en revanche, l’élu en charge de la jeunesse est souvent moteur, puisqu’il envoie un courriel aux parents des jeunes concernés pour leur proposer de se réunir afin de tenir les délais. Cet élu précise que les jeunes du collectif, tout dynamiques qu’ils soient dans l’organisation des événements, ne maîtrisent pas la gestion du calendrier de leur projet, et qu’il est en général nécessaire de les relancer. Outre une communication par affiches dans les commerces des environs, l’information sur les événements circule entre les jeunes par le bouche à oreilles et dans une moindre mesure via les réseaux sociaux. Le nouveau site Web de la commune est également vu par l’élu en charge de la jeunesse comme une manière de rendre plus visible les actions de l’association Dans la place.

Par ailleurs, l’intégration des outils numériques dans la coordination des collectifs ouvre des lignes de fractures entre membres. Ainsi, au sein de l’association qui gère la bibliothèque, le président de 71 ans, très impliqué dans de nombreux collectifs (notamment, enseignement du français à des étrangers, dans d’autres communes), refuse d’utiliser Internet et l’informatique en général. Pour autant, si le PC de bureau de la bibliothèque n’est toujours pas raccordé à Internet, les outils numériques ont pris une place croissante dans l’organisation des activités de l’association : rencontre avec des auteurs, ateliers de lecture, etc. La messagerie électronique, gérée par quelques bénévoles est, avec le cahier sur lequel sont notés les emprunts, le principal outil de coordination. Le débat autour de l’intégration ou non, par l’association, au réseau départemental des bibliothèques se cristallise précisément autour du fait que rejoindre ce réseau impliquerait l’utilisation du numérique : logiciel spécifique, formation des bénévoles à son utilisation. Pour le président actuel, qui souhaite démissionner de ce mandat, ceci représente des gadgets inutiles, tandis que pour les autres bénévoles, l’inscription dans un réseau départemental de bibliothèques rurales est essentiel pour faire (re)connaître les activités de l’association, et disposer des ressources nécessaires (contacts, outils, support de communication, etc.).

Outre l’association de lecture, qui gère la bibliothèque, la commune compte trois collectifs associatifs qui organisent concerts, spectacles, et autres événements culturels et festifs. Deux prennent la forme d’association, l’autre n’ayant pas de statut juridique particulier. Initiés et principalement animés par une ou deux personnes, ces collectifs reposent beaucoup sur Internet pour l’organisation des événements. Évelyne (environ 65 ans), qui organise depuis 36 ans des concerts à la maison, nous explique ce qu’Internet a changé pour elle : « J’ai environ 500 adresses [emails]. Je préviens les gens pour le concert que par Internet. C’est un concert privé et non pas public sinon je devrais prévenir la SACEM etc. [...] Donc les 500 mails je les envoie par gmail justement et les gens me répondent s’ils pensent venir ou pas. Avant, je prenais mon téléphone et j’appelais tout le monde ». Maintenant qu’elle privilégie le courriel, Evelyne essaie néanmoins de penser à prévenir Jocelin, artisan mentionné plus haut, qu’elle connait bien, et qui refuse d’utiliser Internet.

Les personnes impliquées dans un collectif le sont souvent dans plusieurs : elles servent donc de relais entre les différents collectifs de la commune, et au sein de leur propre réseau de sociabilité plus ou moins large au sein de la commune. Le choix de rencontrer d’abord les collectifs (mairie, associations) pour accéder dans un second temps à la parole des habitants, nous a permis de montrer l’importance des ressources mobilisées et créées par ces collectifs pour favoriser l’ancrage des habitants.

Échelles géographiques d’inscription des sociabilités

Les échelles géographiques d’inscription des sociabilités vont d’une dimension hyperlocale à une dimension plus internationale. Tout autant que les trajectoires résidentielle et professionnelle d’un individu, ce sont aussi celles des membres de sa famille, et plus généralement de ses amis, qui déterminent l’échelle géographique des interactions sociales médiatisées par des outils de télécommunication (téléphone, Internet, etc.) d’une part, et des interactions sociales en face-à-face d’autre part. Ces dernières nécessitent une mobilité physique.

Prenons l’exemple de Susie. Sa trajectoire résidentielle (enfance et études en Australie, arrivée à Paris), le milieu artistique dans lequel elle évolue en tant qu’intermittente du spectacle lui a permis de construire un réseau social très étendu à la fois en nombre de personnes (ce que reflète d’ailleurs le grand nombre de ces amis Facebook) et en étendue géographique. Les liens forts avec son pays d’origine, et l’importance des liens faibles qu’elle entretient avec des gens habitants loin de chez elle font de Facebook un outil de sociabilité particulièrement important pour elle.

D’une manière générale, l’élargissement des échelles du tourisme [17], les mobilités à longue distance, les neveux et nièces ou petits-enfants qui partent à l’étranger (Espagne pour la nièce d’Evelyne, Argentine pour la nièce de François, Pologne pour la petite-fille d’Annie) lors de leurs études, notamment par les programmes Erasmus, sont autant d’occasions pour les unes et les autres d’utiliser Internet pour s’informer sur les destinations ou pour maintenir les liens avec ses proches. Ces liens forts entraînent également des mobilités internationales : vacances en Espagne pour Évelyne, projet avorté de voyage en Pologne pour Annie, voyage de plusieurs mois en Australie pour le fils aîné de Susie ; Luc que nous avons également décrit comme un homme très attaché à sa commune envisage de vivre au Togo, pays d’origine de sa femme ; Jacques et son épouse sont propriétaires d’une maison au Sénégal, achetée après avoir passé plusieurs vacances dans ce pays et où l’un de leur fils (20 ans) s’est installé pour racheter une entreprise de menuiserie.

Les entretiens révèlent également une continuité des échanges en face-à-face et par les outils de télécommunication pour consolider des relations sociales entre les habitants. Originaire de Bourgogne et veuve, Françoise est arrivée dans la région en 2006. Elle s’est d’abord installée à une vingtaine de kilomètres de notre lieu d’observation pour se rapprocher de son fils Thomas. En 2008, le bailleur social (qui opère sur tout le département) lui a proposé une maison en logement social dans la commune d’enquête. Grand-mère de deux petits enfants scolarisés, et dont elle assure en grande partie l’éducation, membre active de l’association de lecture, et engagée dans de nombreux échanges d’entraide, elle a développé des liens faibles, mais aussi forts, avec de nombreux habitants de la commune. L’installation de son fils, au printemps dernier, dans le logement social mitoyen du sien témoigne de son ancrage fort. Elle s’est mise à Internet, par « hasard », après avoir gagné un ordinateur au jeu télévisé Question pour un champion. Peu à l’aise avec les outils numériques, elle n’en est pas moins une grande utilisatrice. Elle constitue pour nous une personne ressource, qui, par son fort ancrage local, nous a facilité l’accès au terrain, et nous tient régulièrement au courant par courriel des événements organisés dans la commune. Avec Annie (présentée dans la première partie) qu’elle voit presque tous les jours, elle échange également des courriels quotidiennement.

Les élus du conseil municipal échangent régulièrement par courriels ou SMS ; les enseignantes proposent aux parents d’élèves de suivre certains projets importants de l’école comme une classe de mer ou une activité cirque par l’intermédiaire d’un blog, etc. Ainsi, les outils numériques supportent une part importante de l’organisation rituelle de la vie quotidienne et multiplient les formes d’échanges.

L’exemple de Mélodie (25 ans, mère de famille monoparentale, présentée dans la première partie) montre qu’Internet ne permet pas nécessairement de combler le manque de relations sociales nouées localement. Pour Mélodie, les espoirs d’une vie meilleure au cœur d’un espace rural se sont heurtés à la difficulté de vivre éloigné de tout. Selon elle, un déménagement en ville s’impose pour espérer trouver un emploi, mais, bénéficiaire du RSA, elle pense qu’elle n’en a pas les moyens financiers. Face à ce sentiment d’enfermement dans l’espace local, Internet lui semble d’un bien maigre secours. Elle nous explique qu’elle l’utilise de moins en moins (un peu pour la musique — ce sont surtout ces enfants qui jouent à des jeux pédagogiques sur tablette). Elle dispose d’un compte Facebook, mais les liens sociaux qu’elle y a développés ne lui apportent que peu de réconfort. Les rencontres faites avec quelques jeunes femmes de son âge habitant dans la commune lui semblent des ressources bien plus importantes.

Inversement, Aymeric, bientôt 18 ans et qui vient de passer son baccalauréat au moment de l’entretien, témoigne de ce qu’Internet peut apporter au plan des sociabilités. Peu à l’aise dans son corps de grand adolescent, il est soulagé de quitter enfin le lycée en internat, où il a été l’objet de moqueries continues. Il a noué par le biais d’un jeu de stratégie en réseau des amitiés avec des personnes (francophones) physiquement et socialement éloignées de son environnement. Il explique : « J’étais sur ce jeu pour comprendre les gens, pour essayer de justement prendre confiance en moi, discuter avec les gens, découvrir d’autres horizons. Et ça m’a plu. On a une cité, et on doit la développer, gagner en puissance pour attaquer les autres joueurs. [...] Parfois on peut être tout seul, mais généralement, on est en alliance. C’est ça qui permet de faire des liens avec des gens qu’on connait pas. [...] Ça m’a permis de faire des liens avec des Québécois, des gens du sud. [...] Par texte, chat, on a fini par bien se connaître : ça me permettra peut-être d’aller voir des gens. [...] J’échange avec des gens avec qui j’ai 10 années de différence : y a une dame qui a 37 ans et on est pote. Elle est au Québec. Moi, j’ai 18 ans, à côté. »

Le cas d’Aymeric illustre la propriété « capacitante » (Casilli, 2010, p. 186-196) d’Internet, qui permet de s’abstraire des contraintes physiques, ici entendues dans deux acceptions différentes : non seulement la localisation n’est plus un problème, puisqu’Aymeric active des ressources sociales localisées à grande distance, mais aussi la manière dont ses ressources sont activées s’affranchit de la pesanteur du corps, ses imperfections ressenties. La socialisation secondaire d’Aymeric via ce jeu de stratégie en ligne semble jouer un rôle essentiel dans la construction de son identité : « Jouer à ce jeu, ça m’a permis de me perfectionner, de prendre confiance en moi aussi ».

Les échanges par Internet dessinent donc des sociabilités qui s’inscrivent tant dans l’espace hyperlocal, venant renforcer des liens construits par la coprésence dans une même commune, que dans des lieux géographiquement éclatés, soit pour soutenir des liens forts entre amis ou membres d’une même famille que les mobilités individuelles ont éloignés, soit pour créer de nouvelles sociabilités. L’analyse de la circulation au sein de quelques collectifs montre également une « configuration socio-locale » (Elias, 1981) laissant la possibilité aux non utilisateurs d’Internet de participer aux sociabilités locales.

Conclusion

La démarche inductive privilégiée lors de ce travail conduit à construire une grille d’analyse a posteriori pour comprendre les ressources sociales mobilisées par les habitants. Cela nous a amené à croiser, d’une part, les interactions sociales présentes et le contexte dans lesquelles elles se réalisent et, d’autre part, la situation géographique qui peut contraindre une organisation des liens sociaux ou de la vie quotidienne.

Si les personnes interrogées sont nombreuses à souligner l’infini des ressources distantes offertes par Internet (communiquer à distance, se divertir, suivre des conférences, apprendre, réécouter la radio, etc.), on observe, que parmi d’autres moyens, Internet est très utilisé par les habitants pour (tenter de) construire des « ressources territoriales » (Gumuchian et Pecqueur, 2007, p. 5). Cela se perçoit dans l’implication des associations et autres collectifs, mais aussi de quelques entrepreneurs, qui comme Luc (salarié agricole, artisan et loueur de gîtes), tentent de faire émerger des « raisons » de rester ou venir sur le territoire, en somme de le faire vivre, et ainsi, de rendre possible l’ancrage pour les habitants actuels et potentiels.

On retrouve dans la commune le rôle essentiel que jouent (ou entendent jouer) les associations dans la dynamisation des espaces de faible densité mis en évidence par Estelle Regourd (2007) dans le cas de la Haute-Provence et de l’Aveyron, mais également le rôle de la culture dans le processus de création de ressources territoriales, comme Alban Cogrel (2010) a pu le montrer dans le cas du Pays de Redon.

L’engagement des habitants de la commune dans la création de ressources locales et l’ancrage fort dont témoignent les réseaux de sociabilité participent à un processus de « maturation du territoire », déjà décrit dans d’autres contextes pour des espaces périurbains (Berger et al., 2014 ; Rougé, 2009). La « maturité » correspond à un stade où un territoire, initialement caractérisé comme « polarisé » par les déplacements de ces résidents, devient lieu d’ancrage : les ressources locales sont assez nombreuses pour une certaine autonomie du territoire. Notre travail de terrain, situé dans un temps court, ne permet pas de saisir si l’évolution des mobilités conduit la commune d’étude vers une influence urbaine croissante ou au contraire une autonomie croissante ; cependant les pratiques habitantes observées le temps du terrain témoignent d’un double logique : mobilités périurbaines et recherche d’autonomie (ou autrement dit de « maturité territoriale », Rougé, 2009). En effet, d’une part, on voit se dessiner à travers les mobilités des modes de vie périurbains marqués par des polarités urbaines malgré l’éloignement des principales zones d’emploi, ce qui nous conduit à relativiser la catégorie dans laquelle est classée la commune par le zonage en aire urbaine. D’autre part, l’engagement dans la vie locale, tant des actifs que des inactifs, atteste d’un ancrage fort et de la recherche d’une autonomie relative. Celle-ci est rendue possible grâce à l’aménagement d’activités professionnelles compatibles avec une localisation dans cet espace de faible densité, grâce au développement d’activités (événements de diverses natures) sur place, mais aussi grâce à une connaissance des ressources locales permettant une meilleure appropriation du territoire.

Le rôle que peut jouer le numérique pour révéler les ressources locales, et participer ainsi à cette maturation des territoires a été mis en avant dans d’autres travaux (Vidal, et Rougé 2011 ; Vienne et al. 2017), qui montrent que les outils numériques permettent une meilleure connaissance « d’une offre moindre, mais maîtrisée et pleinement exploitée » (Sajous et al., 2015). Sur notre terrain, la création récente du site Web communal correspond à cette volonté de donner à voir le territoire, ses événements, en somme « le faire vivre ». La mise en visibilité des événements culturels organisés dans la commune, que ce soit en ligne, ou dans la presse locale, apparaît comme un enjeu essentiel pour les habitants, et le maire, qui nous ont à plusieurs reprises interpellées : « vous avez vu la photo de X ? » ou encore « Allez voir sur le compte Facebook de X ». Annie nous précise qu’elle lit la presse locale, essentiellement pour « savoir si on parle de nous » (des événements organisés par l’association de lecture) [18].

Gardant à l’esprit les limites du terrain réalisé (au vu de notre dispositif d’enquête, la population rencontrée n’est pas le reflet fidèle de l’ensemble des habitants de cette commune, de plus la monographie a été menée sur un temps réduit), nous sommes tentées de conclure que les promesses portées par les outils de télécommunication d’une « mort de la distance » sont une fois de plus mises à l’épreuve par l’observation des pratiques quotidiennes des habitants d’une petite commune rurale. Dans les situations socioéconomiques les plus difficiles, Internet ne permet pas d’opérer de « révolution » personnelle en sortant des trappes à pauvreté (cas de Mélodie). Cependant, à travers quelques exemples, nous montrons que les ressources nouvelles offertes par Internet élargissent l’espace des possibles, y compris dans la manière de créer ses moyens de subsistance. Internet permet de supporter des sociabilités géographiquement éclatées, tout en prolongeant et renforçant les réseaux locaux.

Bibliographie

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Pour citer cet article

Référence papier

Margot Beauchamps et Hélène Trellu, « Accéder aux ressources sociales en milieu rural : vie quotidienne et sociabilités à l’heure d’Internet dans une petite commune », Netcom, 31-3/4 | 2017, 433-462.

Référence électronique

Margot Beauchamps et Hélène Trellu, « Accéder aux ressources sociales en milieu rural : vie quotidienne et sociabilités à l’heure d’Internet dans une petite commune », Netcom [En ligne], 31-3/4 | 2017, mis en ligne le 26 mars 2018, consulté le 19 juin 2018. URL : http://journals.openedition.org/netcom/2781 ; DOI : 10.4000/netcom.2781

Auteurs

Margot Beauchamps

Coordinatrice du GIS M@rsouin, IMT Atlantique, margot.beauchamps@imt-atlantique.fr

Articles du même auteur

M@rsouin : 13 ans de recherche sur les usages numériques. Quelle relation avec la dimension spatiale ? [Texte intégral]
Avant-propos
Paru dans Netcom, 28-3/4 | 2014

Hélène Trellu

Chercheure associée au LABERS, Université de Bretagne Occidentale, helene.trellu@univ-brest.fr

Notes

[1Les auteures tiennent à remercier les évaluateurs anonymes dont les remarques ont grandement contribué à l’amélioration de l’article.

[2Nous ne la nommerons pas pour respecter l’anonymat des personnes qui ont bien voulu se livrer à nous. Toujours par souci de respecter l’anonymat, les prénoms des personnes évoquées ou citées dans cet article ont été modifiés.

[3Selon cet indicateur (IDTT), fourni par l’INSEE à partir de la Base Permanente des Équipements 2014, le temps moyen d’accès à un panier de 29 services et commerces de gamme intermédiaire est d’un peu plus de 20 minutes dans le bassin de vie concerné, contre 11.5 en moyenne en France métropolitaine.

[4Cela étant dit, nous pourrions affiner, à l’échelle infra-communale, le niveau d’accessibilité des personnes résidant dans le bourg, qui constitue une petite centralité, de ceux résidant dans des hameaux plus isolés. Il se pourrait que les informations, par exemple, circulent plus facilement à l’oral parmi les habitants regroupés dans le bourg, qui sont également plus proches des quelques services, qu’auprès des autres.

[5Le terme de cyberespace souffre d’une connotation désuète, mais il a l’avantage, par rapport à l’expression d’espace virtuel qui l’a souvent remplacé, de prendre acte de la réalité des interactions en ligne permises par Internet, le cybersespace n’étant pas plus virtuel que d’autres espaces, comme la ville par exemple (Beaude, 2012).

[6L’adjectif « infraurbain » pour qualifier des espaces de très faible densité hors de l’influence des pôles urbains renvoie à l’idée que, dans un pays urbanisé comme celui de la France métropolitaine, il est possible de caractériser les espaces selon un « gradient d’urbanité », dans la mesure où les modes de vie ont été partout affectés par l’urbanisation, les territoires infraurbains étant ceux où cette influence urbaine est la plus faible (Lévy, 2003).

[7L’ANR Capacity rassemble des équipes de la Fondation Internet Nouvelle Génération (FING), autour de Jacques-François Marchandise, coordinateur du projet, du CREAD (Université de Rennes 2), autour de Pascal Plantard, et du GIS M@rsouin (IMT Atlantique), autour de Margot Beauchamps. Ce projet s’intéresse au potentiel d’augmentation des pouvoirs d’agir qui accompagne la diffusion des pratiques numériques, en explorant ses réalités, mais aussi les différentes manifestations de ses échecs, notamment en mettant en lumière les risques d’exclusion sociale et d’accentuation des inégalités. La recherche présentée dans cet article n’en constitue qu’un sous-projet ayant mobilisé deux chercheuses.

[8Par exemple, de manière assez évidente, les questions portant sur la manière de s’informer sur l’actualité, d’organiser des vacances (acheter un billet de train, louer un gîte), de s’informer sur les possibles (ré)orientations professionnelles ou scolaires sont plus ou moins pertinentes en fonction de la situation de la personne interrogée.

[9Les enclos paroissiaux, églises entourées d’un terrain, souvent occupé par un cimetière et délimité par un mur d’enceinte, sont caractéristiques de l’architecture religieuse rurale bretonne et constituent des atouts touristiques.

[10Les maisons se vendent à un prix moyen de 938 euros le mètre carré d’après le site http://www.meilleursagents.com.

[11Source : entretien avec le maire. Le reste des données démographiques et sur le parc de logement provient de l’INSEE.

[12À moins de commander en ligne certains produits : voir plus loin.

[13Par la suite, nous avons appris que le commerce serait repris.

[14Le déploiement de la fibre optique du répartiteur de la commune ne résout pas le problème du débit offert sur la boucle locale, qui continue d’être limité pour les lignes les plus éloignées de ce répartiteur.

[15Alexa, une filiale d’Amazon, propose des mesures d’audience des sites Web selon les pays. D’après ces mesures, depuis plusieurs années, leboncoin.fr figure parmi les dix sites les plus visités par les internautes français après les grandes plateformes comme Google, Youtube, Facebook, les plateformes de messagerie (Yahoo, Orange, etc.) et l’encyclopédie Wikipédia.

[16Dans les entretiens, certaines personnes interrogées ont exprimé le regret de ne pas être toujours informées à temps, que ce soit le résultat d’une rétention délibérée d’information ou bien de négligence de la part de ceux qui la détiennent.

[17Le volume du tourisme de longues distances, et notamment international, augmente en même temps que celui des interactions en ligne, invalidant l’hypothèse d’une substitution de la télécommunication aux déplacements, au profit de l’hypothèse de la complémentarité et même de l’induction de mobilité par la télécommunication (Rallet et al., 2009 ; Mokhtarian P., 2000 ; Larsen et al. 2006).

[18Cependant, l’impératif de mise en visibilité n’est pas exempt d’ambivalence. Susie précise qu’elle ne souhaite pas présenter sur le compte Facebook de son association toute une galerie de photographies à la suite des événements qu’elle organise, car elle valorise davantage la présence lors de l’événement. Pour Sébastien, il vaut mieux ne pas avoir de compte Facebook dans une si petite commune, pour éviter les méfaits du commérage.

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