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Interview de Julien Bellanger, acteur des cultures numériques et des réseaux de médiations numériques à Ping

Voici après les interviews d’acteurs d’Animacoop : Laurent Marsault, Louise Didier, Jean-Michel Cornu et Lilian Ricaud, celle de Julien Bellanger de Ping, association au croisement des cultures numériques et des réseaux de la médiation numérique et du « faire » en Pays de Loire.

Julien est-ce que tu peux te présenter ?

Je suis Julien Bellanger, [1] je travaille à l’association Ping qui est un espace ressource sur les cultures numériques à Nantes et je viens pour la sixième fois au Forum des usages coopératifs à Brest pour partager mes expériences. Il y a un sujet sur lequel je travaille beaucoup et qui m’intéresse qui est la pérennité des archives numériques et quand on parle de contribution comment contribuer sur le long terme permet de rénover des vieilles idées ? En exemple Pauline Uchard (La carène) qui m’accompagnait sur la table ronde a mis en lien sous mon nom une interview de moi ici en 2010 du coup dans le wiki qu’il y avait cette interview de moi en 2008 et j’ai redécouvert ce que j’avais dit il y a presque 10 ans.


Si tu avais quelques mots clés pour te définir ?

Curieux positif et critique

Qu’est-ce que tu retrouves au Forum des usages coopératifs d’année en année ? Et est-ce que tu vois une graduation dans les éditions et les contenus ou la maturité des personnes ?

C’est très intéressant sur du long terme de pouvoir faire le point avec des gens, tous les deux ans. Dans les relations de coopérations il y a des gens avec qui on a moins contact pendant 2 ans, et n’étant pas sur Brest et la Bretagne, je retrouve des connexions et on fait un état des lieux de ce qui s’est passé sur deux ans. Sur le format aussi je pense que cela commence à être une marque de fabrique et on commence à appréhender cette question de session, d’atelier, d’enchaînement sur trois jours qui est assez rare dans les événements que je connais. Sur les thématiques soulevées, tu te dis oui, c’est une thématique sur laquelle nous sommes également et cela conforte l’envie de venir y travailler. C’est à la fois un état des lieux et un moment de travail sur ce qui va se passer dans l’année oùules deux ans après, c’est un moment d’étape.

Qu’est-ce qui a fait qu’un moment donné tu est passé du côté de la coopération ?

Je suis en train de faire une VAE actuellement alors je peux durer 2h30 sur le sujet.. J’étais plutôt issu du monde de l’informatique et des mathématiques. J’ai suivi une formation très courte pour être ingénieur Microsoft et là j’ai compris ce que voulait dire la privatisation des données, comment on crée du service à partir de contenus que les gens ne maîtrisent pas, le fait de ne pas former les gens.. ; l’inverse de la coopération, des échanges. J’ai participé à des réseaux d’échanges de savoirs, des SEL du côté de Bordeaux, les REMICS de Médias-cité qui m’ont un peu éclairé, c’est là que j’ai un peu changé de côté de la force.. Mais de plus en plus, je ne suis pas convaincu d’un clivage tranché : beaucoup de personnes ont plusieurs casquettes, ils ont des côtés ouverts et ensuite ils retournent dans le monde du travail ou le soir ils font des activités associatives ou militantes : c’est aussi une complexité des individus sur cette question de la coopération qui est intéressante aussi à aborder.

Est-ce que tu pourrais raconter un ou deux projets coopératifs auquel tu as participé ou qui t’ont marqué ?

Alors un projet coopératif que l’on a mis en place et un autre auquel on a participé comme cela fera deux formats.

On a mis en place un événement festif qui s’appelle Festival D : deux jours de présentation de projets issus de Fablab ou de tiers lieux, une alternative aux « maker faire » qui est la privatisation d’un événement avec une marque. Pourquoi payer cher une marque qui permet juste à des gens de présenter un projet. Pour réaliser Festival D on s’est dit que pour coopérer il fallait que l’on mette en accès libre les modalités d’accès ou d’organisation de l’événement. Alors on s’est dit comment c’est possible ? C’est plutôt un appel à coopération ou à la réplication.


Avec l’émergence de la fabrication numérique, une nouvelle génération de créateurs a vu le jour. Au sein des fablabs, ces ateliers de fabrication d’un nouveau genre, ils développent des projets variés : robots, éléments de mobiliers artisanaux ou connectés, machines à imprimer en 3D, jeux interactifs, projets scientifiques, installations artistiques, etc.

Festival D, vous ouvre les portes de cet univers le temps d’un week-end convivial, familial et festif. Venez découvrir les projets insolites, étonnants ou décalés des nouveaux créateurs, participer à des ateliers pratiques pour petits et grands et échanger à travers les débats proposés !

Un autre exemple que l’on a porté, c’est le Fab lab que l’on anime et qui s’appelle Plateforme C, C comme collaboratif . Des écoles d’ingénieur et l’université, voulaient que l’on crée un Fablab ensemble, et on a répondu que l’on peut créer un Fab lab mais à la seule condition que le lieu ne soit pas privatisable par aucune des structures. Là on a un lieu qui est accessible pour l’université de Nantes ; l’école de design, des lycées .. mais personne ne peut dire le mardi après-midi ce n’est que mon institution. Donc on a créé une coopération entre des acteurs du monde de l’enseignement supérieur et nous.


Bricolage, fabrication numérique, réparation d’objets, programmation informatique, couture, création artistique : l’Atelier Partagé et le fablab Plateforme C sont deux ateliers ouverts à tous et toutes pour prototyper et expérimenter. Ils disposent de machines à commande numérique, d’établis de bricolage traditionnels ainsi que d’outils électroniques et textiles.


Nous avons aussi participé à des plates-formes en ligne du style Wikipédia avec plein d’acteurs depuis des années, cette participation n’est pas forcément évidente. C’est pas mal de regarder des deux côtés de la pelle parfois tu mets en place des dispositifs participatifs ou coopératifs et tu te rends compte que tu n’as pas laissé la place aux gens pour coopérer et parfois tu veux participer à un projet et tu n’as pas forcément la place pour participer. C’est jamais gagné ! Mais le dialogue est possible

Est ce que tu pourrais présenter Ping ?

L’association Pingexiste depuis 2004. On est parti sur deux champs qui se parlent à chaque fois, qui ne sont pas en opposition mais complémentaires.

Le premier c’est de se dire on va créer un espace ressource sur les technologies pour les acteurs de l’éducation de l’éducation populaire, du culturel, du socio-culturel ; et le second de proposer une activité liée à la culture numérique. Donc on est un petit peu entre les deux : d’un côté fournir des ressources à des acteurs déjà en place et de l’autre avoir notre propre pratique culturelle, plutôt basée sur les valeurs du logiciel libre (ce qui était au départ une question éthique et pratique).

Du coup on a deux activités principales : on a des ateliers d’appropriation du numérique à Nantes : un atelier partagé en quartier et un fablab sur l’île de Nantes et on anime un réseau de lieux d’espaces publics numériques en Pays de la Loire. Ainsi on fait un peu des deux : on organise des ateliers et on anime un réseau.


l'atelier partagé du Breil

On est 8 salariés, 300 adhérents et des écoles partenaires en 14 ans. Sur la gouvernance on est très fan des travaux de Jean-Louis Laville qui est un chercheur au CNAM sur le mouvement associatif et l’associationisme. On essaie de mettre en place un CA de décision avec des gens qui sont motivés ; des adhérents qui donnent leur avis et des permanents qui mettent en œuvre les choses. Le secteur associatif est le secteur le plus innovant en France et il faut garder cette souplesse la. On a une réunion mensuelle depuis 14 ans sur les décisions à prendre avec des comptes-rendus.

On perdure là-dedans même si certains nous disent vous devriez passer en scoop ou en start-up.. Et après sur le modèle associatif il y a tellement de manières différentes de mettre en œuvre une association chacun peut avoir sa propre pratique. Nous on a estimé qu’on n’avait pas besoin de directeur, on a une gestion collégiale des huit permanents ; c’est une belle idée au départ mais c’est complexe et pas forcément facile tous les jours, une forme de sociocratie. On a le même salaire aussi cela on ne le dit pas souvent, c’est quelque chose que l’on devrait valoriser dans l’ESS on respecte la convention collective qui fait que l’on a différents points selon que l’on est arrivé il y a deux ans ou 10 ans. Cela permet aussi de réinterroger le projet fréquemment.


Où en est le mouvement de l’accès public à accompagné en Pays de Loire ?

Il y a des choses qui ont bien marché depuis six ou sept ans, on a réussi à ouvrir un réseau sans label. On a ainsi ouvert l’accès à nos rencontres à notre plate-forme en ligne aux gens qui estiment mettre en lien avec le grand public et le numérique : des maisons d’association, des médiathèques etc .. Cela a l’avantage que l’on croise plein de gens mais avec l’inconvénient qu’il n’y a pas forcément d’identité collective surtout sur un territoire comme la région des Pays-de-la-Loire. Le travail de cartographie permet à des petites communautés de communes de dire regardez je fais partie d’un réseau plus grand donc vous devriez m’aider un peu.

Il y a des lieux qui ont fermé il y en a d’autres qui ouvrent , c’est jamais gagné. Ce qui est intéressant c’est que l’on arrive la avec la présence d’Ivan de Chemillépar exemple à créer des réseaux thématiques plutôt que de croire qu’on travaille ensemble parce qu’on est tous dans la même région Pays-de-la-Loire qui est une région un peu vaste. Ainsi, les gens qui sont sur les jeux vidéo ont un groupe de travail sur le jeu vidéo. Aujourd’hui il y a 220 espaces qui se sont identifiés eux-mêmes avec une vingtaine qui ont fermé depuis 5, 6 ans suite à un retrait des élus. Cette baisse est un peu compensé avec l’arrivée des tiers lieux, des espace de co-working et avec les médiathèques et les bibliothèques, qui sont en train de relancer leurs pratiques d’espaces numériques grâce à l’arrivée de jeunes dans ces postes là.

Est-ce qu’il y a des services publics qui s’appliquent dans la médiation numérique notamment pour prendre en compte la dématérialisation des services ?

Depuis 16 mois on a un gros retour des termes « fracture numérique », « plate-forme de dématérialisation » et du coup revient cette question des services numériques qui crée une exclusion. [2] Il y a eu une journée de rencontres pour les professionnels « numérique facteur d’exclusion ou d’insertion » sur l’action autour d’un quartier organisées par le CCAS. Il y avait à 80 personnes à cette journée à laquelle la ville de Brest, Marsouin participaient et ils auraient pu doubler la salle.

C’est une bonne initiative, parce que cela a bien marché mais ce n’est pas une bonne nouvelle parce que cela montre l’importance des questions d’exclusion. Il y a un gros enjeu là-dessus et les acteurs se mobilisent, les éducateurs, les animateurs, un peu esseulés, voient les difficultés au quotidien et une nouvelle facture en train d’apparaître avec les non internautes. A cette journée, les gens de la CAF étaient invités et ont été mis devant la réalité des difficultés.

Est ce que les service public se mettent à la médiation numérique ? oui et non, il y a une sensibilité plus qu’un engagement concret. Je pense qu’il y a plus une compréhension des enjeux parce que les gens sont tous aussi citoyens, ils ont de la famille concernée ..

Après il y a tout le côté démonstratif qui était compliqué avant. C’est un peu comme la première fois que l’on a eu une imprimante 3D que l’on a construit nous-mêmes : avant on galérait sur les logiciels libres pour expliquer ce qu’étaient l’open source ; là on avait une machine devant nous pour dire regardez cela a été documenté. Ici c’est un peu pareil, sauf que c’est moins drôle, sur les problématiques de plate-forme dématérialisées il y a vraiment des exemples à montrer qui rendent concrets les problèmes.


Est-ce qu’à Ping vous vous identifiez comme participant à un commun ?

Pour Ping, il y a plusieurs enjeux sur la question des communs, on a du mal à identifier sur un seul terme des communs le travail avec nos adhérents. On a un wiki ressource http://www.fablabo.net où sont documentés tous les projets portés par nos adhérents ou les écoles qui est un espèce de commun.Si on parlait à nos adhérents, ils nous diraient que le commun créé, c’est le hangar qu’on a récupéré ; il était complètement vide, on l’a repeint, refait l’électricité avec des lycéens : c’est un commun matériel.

Ensuite faire du commun avec d’autres structures, ce qui est l’enjeu de la coopération ouverte est quand même plus dur : comment crée-t-on une coopération ? Pour avoir testé des plates-formes collaboratives entre structures nationales ou régionales c’est plus complexe. Là je vois, sur Nantes, c’est plus les adhérents, nos publics qui vont d’une structure à l’autre qui créent un commun en tissant des liens entre les lieux et les structures qu’une coopération qui se déciderait en disant « allez c’est parti y va ensemble on crée un truc » !

Quels sont pour toi les freins coopération qu’est ce qui dans un projet rend plus difficile la coopération ?

Les freins à la coopération pour nous actuellement sont plutôt basés sur le fait que l’on est missionné via des appels à projets et des financements publics qui nous demandent de faire des bilans avec une identification des tâches. La manière de faire des bilans ne correspond pas à la façon de faire de la coopération que l’on trouve dans des logiciels libres, dans des communautés, avec des contributions à valoriser. C’est ce format de valorisation d’un projet, je trouve, qui est compliqué. On reste aussi encore sur une problématique de territoires la région, le département, l’agglomération , la ville qui est un peu compliquée.

Pour les freins c’est par exemple que si on cite facilement des exemples de communs emblématiques comme Wikipédia, l’eau, la ZAD.. on a du mal à avoir d’autres exemples de petites expérimentations plus palpables et concrètes pour les gens. On a par exemple donné un coup de main sur une coopérative d’activités et d’emplois, une CAE à Orvault c’est un exemple concret, il y avait des gens qui gravitaient autour de Ping et qui ne voulait pas être entièrement salariés mais un petit peu quand même et du coup ils ont créé une CAE c’est un petit exemple mais c’est encore très professionnel. Par rapport aux freins c’est trouver des exemples adaptés aux demandes.

Et en termes de facilitation qu’est ce qui dans un projet favorise la coopération ?

C’est un peu compliqué Là-dessus on se pose des questions, plutôt que de coopération on parle aussi un peu d’autonomie. Quand on donne trop d’autonomie, des fois il ne se passe rien, quand ce n’est pas assez animé, facilité, il ne se passe rien non plus mais parfois quand c’est trop facilité, trop animé, du coup la coopération est faible, les gens se laissent un peu pilotés. Alors la question est comment on créer un cadre propice ? Et là on n’a pas de recette absolue. Cela dépend tellement des gens qui viennent participer à telle ou telle activité . On essaie d’être un peu moins radicaux sur la question, par exemple, de la documentation du logiciel libre, on essaie de trouver des équivalents. Quand on a fait le festival D, c’était uniquement sur des projets open source, on s’est dit qu’est-ce que c’est qu’un projet open source ? Quelqu’un qui fait de la peinture sur la toile cela peux être expliquer son processus. Du coup, c’est le sujet sur lequel on devrait travailler : sortir de l’informatique pour aller vers des manières d’expliquer qui parle quand même des communs.

En termes d’inspiration de lecture de personnes qui t’ont inspiré sur la coopération ?

J’ai parlé de Jean-Louis Laville et d’un livre qui s’appelle « Politique de l’association" [3]. C’est tout un travail sur le mouvement d’économie populaire, d’économie informelle en Amérique du Sud aux États-Unis et après comment cela a été mis en place en France et comment les politiques managériales, le capitalisme se sont embarqués dans le secteur associatif, c’est une bonne lecture. Et il y a plein de paragraphes qui sont justes à apprendre par cœur pour des rendez-vous avec des collectivités.

La j’ai lu Richard Sennet il n’y a pas très longtemps son bouquin s’appelle « Ensemble : pour une éthique de la coopération » [4] et là il y a plein d’exemples sympathiques.

Je parlais aussi du bouquin « L’Evènement Anthropocène, la Terre, l’histoire et nous » [5], dans Développement durable et territoires [En ligne], Vol. 5, n°3 | Décembre 2014 ]] de Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz, cela ne parle pas de coopération mais de développement des technologie, de l’histoire des techniques de la société des dinosaures à nos jours et de temps en temps cela parle des coopérations ou de ce qui a freiné les coopération des bâtons dans les roues que l’on a mises à des coopérations potentielles.


[1] voir par exemple l’article sur Medium Lieux numériques, entre pratiques populaires et ré-appropriation des technologies ? (décembre 2017)
et la vidéo : Un exemple de parcours - Julien Bellanger PING, Viméo, 12 mai 2014

[2] Voir par exemple le document bibliographique (pdf) réalisé par le CNFPT d’Angers : L’inclusion numérique : entre accès aux droits et risque de fracture (juin 2018).

[3] Voir aussi le document (pdf 10 pages) de Jean-Louis Laville : « Associationnisme : le bien commun aux confins du marché et de l’État »

[4] Richard Sennett, Ensemble. Pour une éthique de la coopération, traduit de l’anglais par Pierre-Emmanuel Dauzat, Paris, Albin Michel, 2014, 378 , voir les notes de lecture sur Cairn de Jean-Yves Barreyre

[5] « L’Evènement Anthropocène, la Terre, l’histoire et nous »,notes de lecture d’Amandine Oullion et Clémence Guimont

Voir en ligne : http://www.cooperations.infini.fr/s...

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