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En Pays de Brest, les grainothèques poussent bien
Il y a un an, début juillet 2014, le réseau Doc@Brest s’intéressait aux grainothèques avec l’envie d’en faire germer localement. Aujourd’hui, il existe une quinzaine de ces « boites à graines » sur le territoire du Pays de Brest. Pour mieux comprendre ce phénomène, nous avons interrogé quatre membres du collectif graines@brest.
Pouvez-vous chacune vous présenter ?
Laure : Je suis à l’initiative en 2008 d’un jardin partagé au centre-ville de Brest, un rond-point de 16 mètres de diamètre : le rond de jardin. Au fil des ans, nous avons récolté des graines qu’il m’a semblé nécessaire de proposer gratuitement à d’autres jardiniers. Ceci m’a rapidement orientée vers le site de Graines de Troc qui correspondait exactement à ce que j’avais envie de faire ! J’ai donc constitué ma boîte de graines et l’ai déposée en mai dernier au Patronage Laïque Guérin.
Stéphanie : Je suis documentaliste à Brest et je participe à l’animation du réseau Doc@Brest. Je suis passionnée de jardin mais totalement néophyte en la matière. Lorsque j’ai découvert il y a quelques mois l’initiative des grainothèques, j’ai initié la dynamique du collectif et participe depuis à la co-animation du réseau. Je n’ai pas de grainothèque, mon rôle consiste à faire germer des petites boites à graines sur le territoire.
Sandrine : Je participe au réseau des grainothèques du Pays de Brest avec le lieu que je tiens, l’Atelier Mandarine, qui est un atelier d’encadrement et galerie d’art.
Cécile : Je suis bibliothécaire dans le Pays de Brest. Je vois germer des grainothèques partout dans mon entourage avec grand plaisir ! Du coup je donne un coup de main au réseau, je participe aux « grainothés » (les réunions des grainoteurs) et je plante des graines dans mon jardin.
Une grainothèque, c’est quoi au juste ?
Laure : C’est un système d’échange de graines dans un lieu ouvert à tous, où chacun peut déposer, prendre ou échanger des graines librement et gratuitement. Le principe repose sur la confiance et le partage. Idéalement, les graines sont issues de cultures sans engrais chimique, matures, reproductibles et non hybrides.
Cécile : C’est une boite toute simple en libre service, dans un lieu de la vie quotidienne, dans laquelle on trouve des petits sachets de graines à faire fructifier et à partager. Ou alors, c’est un appât pour (re)donner envie aux gens de jardiner et de s’occuper de choses simples. Pas besoin d’avoir un jardin pour planter une graine, un pot de yaourt suffit !
Stéphanie : Le premier niveau du projet consiste à mettre à disposition des petites quantités de bonnes graines reproductibles, dans des bibliothèques, des lieux alternatifs… Au-delà de ce partage de graines de qualité, c’est un excellent moyen d’ouvrir la discussion sur le sujet avec le public, de l’interroger sur son alimentation, les menaces pesant sur la biodiversité, la privatisation du vivant, les graines hybrides F1, etc. Si en plus, ça peut donner envie aux gens de remettre les mains dans la terre, c’est gagné !
Pourquoi est-ce important, selon vous ?
Stéphanie : La démarche permet de susciter la réflexion, interroger, faire avancer le débat citoyen ! A mon avis, cela relève tout à fait du rôle des bibliothèques (notamment). Et puis croiser les publics, faire venir en bibliothèques des personnes qui ne les fréquentent pas, c’est enrichissant pour tout le monde.
Laure : Les grainothèques s’inscrivent dans le même esprit que les Incroyables Comestibles, ces fruits et légumes gratuits qui, progressivement et tranquillement, envahissent les villes. C’est aussi un engagement citoyen et une invitation à se mobiliser pour accroître la présence du végétal en ville, promouvoir la biodiversité urbaine, et favoriser les rencontres entre habitant-e-s. C’est un geste de partage économique et solidaire.
Cécile : C’est aussi dans l’esprit du « Do It Yourself » : on peut se débrouiller tout seul pour avoir son basilic et ses tomates cerises. On gagne en indépendance et c’est bon pour le moral !
Finalement, quels sont les objectifs que vous poursuivez ?
Laure : S’affranchir des semences standardisées qui nécessitent engrais et pesticides, ainsi que des hybrides F1 non reproductibles. Retrouver les variétés non commercialisées, locales et anciennes (souvent oubliées mais pourtant adaptées à notre sol et notre climat). Transmettre les savoir-faire, et redonner les moyens d’une autonomie alimentaire à chacun.e. Développer ainsi la biodiversité, particulièrement en milieu urbain.
Stéphanie : Informer les citoyens, faire de l’éducation populaire sur le thème des graines libres et de qualité, voilà l’objectif selon moi. Si on arrive à faire s’interroger les gens sur la qualité de leur alimentation, sur la biodiversité cultivée, et sur le fait que la majorité des graines et plants qu’on achète pour nos jardins sont des végétaux dont on ne peut plus reproduire librement les graines… On aura fait avancer le débat (je vous conseille de lire cet article de Lionel Maurel, qui résume bien tous ces enjeux). Une grainothèque permet également la transmission de savoirs-faire (planter en semis, produire ses légumes puis ses graines – de la graine à la graine !), que nos grands-parents avaient, mais qui se sont perdus pour beaucoup d’entre nous.
Cécile : L’information sur tous les sujets cités par Stéphanie et Laure, la transmission de pratiques, la rencontre entre les gens.
Les grainothèques sont actuellement très « tendance » en France, comment expliquez-vous ce phénomène ?
Laure : Pour la liberté retrouvée en échangeant librement, pour le lien social développé lors des échanges, grâce à la prise de conscience croissante qu’un autre monde est possible où l’on peut manger plus sainement en faisant pousser soi-même sa nourriture : bénéfice social, de santé, écologique, tout est lié. Ainsi la nature au sens large du terme, qui inclut donc l’humanité, est gagnante. Les dernières études démontrent que les végétaux produits aujourd’hui par l’industrie alimentaire, sont dénués de nutriments (exemple : une pomme de 1950 équivaut à 100 pommes d’aujourd’hui pour ce qui est de la vitamine C, Terra Eco).
Stéphanie : Face a la crise économique, aux problèmes de santé publique ou de pollution, les citoyens s’interrogent sur le modèle actuel et cherchent des solutions, des alternatives. Et en ce qui concerne l’alimentation notamment, tout commence par les graines !
Cécile : C’est tendance à notre échelle, maintenant il faudrait que ça le devienne dans tous les milieux, pas que dans les médiathèques ou les galeries d’art… Une invasion de grainothèques ! Pourquoi pas dans les boulangeries ?
Et à l’échelle du pays de Brest, que se passe-t-il exactement ?
Stéphanie : Nous avons formé le collectif graines@brest, constitué aujourd’hui de 15 grainothèques (on pense arriver bientôt à une vingtaine). Pour le moment, ce collectif vise à fédérer les lieux porteurs de grainothèques. A l’avenir, il pourrait aller vers d’autres projets ouverts au grand public.
Cécile : Ce groupe de « grainoteurs » motivés se réunit régulièrement pour se former, s’informer, et échanger des graines tous ensemble. On n’est pas seuls : Incroyables Comestibles, Vert le Jardin, les jardiniers municipaux œuvrent aussi pour la biodiversité à Brest.
Laure : Cela est facilité par le tissu associatif, solidaire et coopératif particulièrement bien développé dans cette région.
A titre personnel et/ou professionnel, pouvez-vous expliquer votre engagement dans cette démarche ?
Sandrine : Je suis une fille de paysan-maraîcher. Depuis toute petite, j’ai pu prendre conscience des problèmes liés aux semences (catalogue, industrie, tarifs, obligations pour les agriculteurs, disparition de certaines espèces locales…). Quand j’ai appris la mise en place des grainothèques, je me suis dit que cela pouvait être un bon compromis pour parler de ce sujet auprès d’un nouveau public, en développant cela dans un commerce qui n’a aucun rapport associatif/écologique/militant… Une grainothèque dans une galerie d’art, c’est une jolie manière d’aborder le sujet.
Laure : Je partage ces valeurs de liberté et solidarité. J’ai du plaisir à reproduire des légumes et des fleurs sans passer par l’industrie des graines (plus de la moitié du marché des semences est détenu par 3 multinationales : Monsanto, Pioneer, Syngenta).
Cécile : Je partage également les valeurs portées par ce réseau. Je fais par ailleurs partie d’une association de distribution de paniers bios et locaux, les graines ça va avec…
Stéphanie : Je suis très sensibilisée à la question de l’alimentation , mais aussi aux problématiques environnementales. J’ai été séduite par le projet initié par Graines de Troc, j’ai trouvé géniale l’idée de pouvoir faire de l’éducation populaire sur ce sujet, en bibliothèque et dans d’autres tiers lieux, en mixant les publics.
Finalement, quel(s) conseil(s) donneriez-vous à un particulier ou une structure qui voudrait mettre en place une grainothèque ?
Stéphanie : Les particuliers peuvent contacter leur bibliothèque ou tout autre lieu public proche de chez eux pour leur proposer d’accueillir une grainothèque. Dans une structure, il faut au moins une personne qui ait la « fibre » pour porter le projet. Ensuite c’est facile, il suffira d’une boîte avec quelques sachets de graines. Nous conseillons d’impliquer le public (notamment pour constituer le fonds de départ), et de réfléchir en amont à la communication, aux actions de médiation et au programme d’animation à mettre en place (soirée débat, café graines, ateliers pédagogiques, activités TAP…). La première chose à faire est de consulter le site de Graines de Troc, tous les conseils y sont. Et puis si vous décidez de créer votre boite sur le Pays de Brest, il suffit de rejoindre le collectif graines@brest ! (reseau.grainesabrest@yahoo.fr)
Lexique
- Semence hybride : Issue d’un croisement.
- Semence hybride F1 : La première génération d’un croisement entre deux variétés distinctes ou races de lignées pures d’une même espèce. Les plantes F1 ne peuvent s’auto-répliquer parfaitement, la vigueur hybride se perd à chaque génération post F1.
- Semence biologique : Semence de qualité produite selon les méthodes de cultures biologique et garanties non traitées après récolte.
Voir en ligne : https://docabrest.wordpress.com/201...